Paris : des imams européens en lutte contre la radicalisation

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20.02.2020

Organisé par Hassen Chalghoumi, imam de Drancy, le premier Colloque des imams européens contre la radicalisation s’est déroulé à Paris cette semaine.

Ils étaient 700 Français, 400 Britanniques, 270 Allemands, 250 Belges ou encore 30 Irlandais. Ils ont le point commun d’avoir, pendant les guerres civiles syriennes et irakiennes, rejoint les rangs de la profusion de groupes djihadistes armés nés pendant le conflit. Certains sont revenus, d’autres sont morts ou emprisonnés. À ces centaines de combattants s’ajoutent des dizaines d’individus nourris par l’idéologie djihadiste sur le territoire européen. Et, sûrement, des milliers qui pourraient l’embrasser. Derrière ces destins individuels, une réalité commune : la radicalisation religieuse. Réunis autour de l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, des imams européens ont tenté, pendant trois jours, d’apporter des réponses à cette tendance lourde dans le cadre du premier Colloque des imams européens contre la radicalisation.

En Europe, la réponse défaillante à la radicalisation religieuse

C’est dans un bel Hôtel particulier du centre de Paris, en plein cœur du Marais, que se sont réunis une soixantaine d’imams venus de plusieurs pays d’Europe. Le premier Colloque des imams européens contre la radicalisation fait d’ailleurs écho avec l’actualité hexagonale. En début de semaine, Emmanuel Macron, Président de la République française, s’est ainsi rendu à Mulhouse, dans l’est de la France, pour réfléchir à un plan d’action contre le séparatisme islamique. Un jeu d’équilibriste politiquement très sensible pour réaffirmer la primauté très française des valeurs républicaines sur les croyances religieuses, sans pour autant s’engager dans une stigmatisation de la seconde religion hexagonale.

Pour l’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, à l’origine de ce colloque, la lutte contre la radicalisation revêt une urgence vitale et transnationale. « La radicalité religieuse et son pendant violent, le terrorisme, ne sont pas limités au territoire français. Tous les pays européens, à différentes échelles, sont touchés. Quel pays de l’Union européenne n’a pas connu de jeunes partis combattre en Syrie ou en Irak ? » affirme Hassen Chalghoumi. Au niveau européen, le nombre de djihadistes partis rejoindre les rangs de groupes extrémistes, comme Daesh ou Al Nosra, est délicat à estimer. En 2016, ils étaient entre 2000 et 2500 venus très majoritairement de France, d’Allemagne, de Grande-Bretagne, ou encore de Belgique. Aujourd’hui, leur retour pose beaucoup plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Les justices européennes seront-elles suffisamment fermes, même pour celles et ceux n’ayant eu qu’un rôle secondaire dans l’organisation militaire de l’État islamique ? Peut-on craindre, qu’après des années de prison, les individus relâchés soient encore empreints d’une idéologie radicale et constituent une menace pour la sécurité des personnes ? Comment réintégrer les enfants nés ou ayant grandi dans les territoires occupés par l’État islamique et, par conséquent, soumis à leur propagande ? Si les Britanniques préfèrent les savoir jugés sur place, Paris a fini par accepter les retours après une longue hésitation.

Mais le départ dans des territoires étrangers n’est pas le seul problème auquel ont été confrontés les pays européens. Seulement deux attaques avaient été déplorées en 2014 sur le sol européen, pour 17 en 2015, 13 en 2016 et 33 en 2017 selon les chiffres fournis par le Parlement européen. Perpétrées par des individus isolés ou ancrés dans des réseaux organisés, ces attaques ont causé la mort de plus de 300 personnes ces dernières années. Mais le passage à l’acte n’est, avant tout, que la suite d’un processus de radicalisation plus ou moins rapidement maturé. Combien sont-ils exactement ? Là encore, le chiffre exact est très délicat à atteindre. Les services de police et de renseignements en recensent environ 15 000 répartis sur le territoire français avec quelques régions particulièrement touchées. Très logiquement, des foyers de radicalisation se dégagent, comme en région parisienne, quelques villes du sud de la France ou encore le nord du pays.

Les voies de la radicalisation

« Il ne faut pas se tromper d’ennemis, les premiers responsables de la radicalisation ne sont ni la République, ni le Coran, mais des prédicateurs religieux autoproclamés qui, dans les quartiers ou sur internet, profèrent des discours de haine et une vision faussée de la religion » s’indigne Hassen Chalghoumi. En effet, les réseaux sociaux constituent une caisse de résonnance majeure pour diffuser les discours radicaux. « Dès lors qu’il est question de religion musulmane, le discours islamiste est omniprésent sur internet, et tout particulièrement sur les réseaux sociaux » explique ainsi un rapport de l’Institut Montaigne, daté de 2008, et portant sur « La Fabrique de l’Islamisme ».

En parallèle, dans plusieurs pays européens, le salafisme s’est implanté plus fermement ces dernières années. Selon l’Institut Montaigne, l’Allemagne comptait 3 800 salafistes en 2011, contre 11 000 en 2017. 182 mosquées salafistes étaient implantées au Royaume-Uni, contre 65 en 2009. En France, le nombre de lieux cultuel et culturel salafistes aurait été multiplié par cinq en 10 ans, pour atteindre 5 % des 2 500 lieux de cultes musulmans que compte le territoire. Mais ce n’est pas tout, selon Bernard Godard, l’un des spécialistes français du fait musulman, une infiltration croissante des lieux de culte établis serait aussi en œuvre. « En arrivant à “placer” un imam, ils ont pu mettre en branle une dynamique, entraînant la venue régulière d’autres imams de leur mouvance, voire même de “savants” de l’étranger », explique Bernard Godard. S’il ne faut pas confondre le salafisme, tel qu’il est le plus largement pratiqué, et le djihadisme, il peut constituer un socle intellectuel et doctrinal et un vecteur d’entrée vers une pratique plus violente de la religion.

Une sociologie commune de la radicalisation se dégage et peut apporter plusieurs pistes de réflexion. En 2018, l’IFRI avait d’ailleurs dressé un profil type du djihadiste à partir d’un panel de 137 individus identifiés. 40 % d’entre eux avaient au moins une condamnation et 12 % avaient fait l’objet d’un signalement préalable à la police. En revanche, 58 % des profils étudiés étaient au chômage ou occupaient un emploi précaire. L’origine géographique jouait aussi un rôle, 40 % des profils venant d’un quartier défavorisé. Des réalités sociologiques qui n’effacent pas la grande hétérogénéité des parcours individuels, comme celui de Sophie*, khâgneuse de 23 ans, discrète, violoniste, pianiste et sans difficulté familiale, partie rejoindre son mari à Raqqa, un Allemand tardivement converti à l’islam. La précarité, le recul de l’État dans certains quartiers ou les désaffiliations individuelles sont autant de vecteurs de radicalisation. « Partout où l’autorité de la République disparaît, la radicalité gagne du terrain. Lorsque certains quartiers sont totalement délaissés, c’est la porte ouverte aux prédicateurs les plus radicaux, les plus dangereux et les plus en capacité d’orienter les jeunes vers des pratiques dangereuses de la religion » affirme Hassen Chalghoumi.

(Re)poser les fondements d’un islam de France et d’Europe

Beaucoup de tentatives, souvent téléguidées par les partis politiques, ont tenté de poser les fondements d’un islam de France. Jusqu’à présent, aucune n’a abouti. L’objectif de ce premier Colloque des imams d’Europe contre la radicalisation est bel et bien d’envisager une pratique de l’islam ancrée dans les valeurs des pays européens. Avec, en premier lieu, l’épineux problème du financement des mosquées par des pays étrangers, symbole d’une lutte d’influence croissante entre certains pays pour le contrôle des communautés musulmanes européennes. Et surtout, les imams, qui ont encore la légitimité auprès des populations les plus à risque, sont appelés à jouer un rôle central dans le processus de prévention et d’accompagnement. « Rien ne pourra se faire sans les imams », rappelle Hassen Chalghoumi. « Il faut mieux les former, sans les confier à tel ou tel organisme qui a sa propre ligne religieuse, ses propres influences. Nous devons avoir une structure de formation, contrôlée par l’État, dont l’enseignement doit être de très haut niveau théologique et compatible avec les valeurs européennes » poursuit l’imam de Drancy.

L’enjeu est d’autant plus important que, partout en Europe, l’islamophobie gagne du terrain. Les discours haineux et hostiles aux musulmans se multiplient et les partis d’extrême-droite sont aux portes du pouvoir. Le Livre Blanc, qui sera le fruit des réflexions de ces trois jours de travaux des imams rassemblés à Paris, devrait être remis aux autorités européennes afin de proposer, à terme, des actions concrètes contre la radicalisation.

 

*Le prénom a été modifié.

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