Affaire Khashoggi : « MBS » sous la menace d’une enquête internationale

« Rien n’interdit de sanctionner [le prince héritier saoudien] », estime Agnès Callamard dans un rapport remis mercredi.

« M. Khashoggi a été la victime d’une exécution délibérée, préméditée, d’une exécution extrajudiciaire dont l’Etat d’Arabie saoudite est responsable en regard du droit international lié aux droits de l’Homme. » Après 6 mois d’enquête, Agnès Callamard, la rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, en a la certitude : l’assassinat du journaliste saoudien, dans les locaux du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (Turquie), le 2 octobre dernier, a bien été décidé par les plus hautes autorités du royaume. Contrairement à ce qu’elles prétendaient jusqu’alors.

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Pour Riyad, qui a tenté de préserver le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), face au tollé suscité, à l’automne dernier, après les premières révélations sur l’affaire, celle-ci se résumait à une bagarre qui aurait mal tournée, au sein du consulat, où Jamal Khashoggi s’était rendu pour obtenir des papiers en vue d’un remariage. Une version rapidement remise en cause par certains observateurs internationaux. Et, notamment, la CIA, qui avait conclu au mois de novembre à la responsabilité directe de MBS dans l’assassinat.

Annulation du procès fantoche

Si le rapport remis par Mme Callamard et ses collaborateurs n’apporte pas d’éléments nouveaux concernant le rôle exact du prince héritier, il n’en conforte pas moins les soupçons qui pèsent sur lui. « Il existe des éléments de preuves crédibles justifiant une enquête supplémentaire sur la responsabilité individuelle des hauts responsables saoudiens, y compris celle du prince héritier », indique le texte. Raison pour laquelle la rapporteure spéciale de l’ONU a demandé l’annulation du procès fantoche qui se tient actuellement à Riyad. Où l’accusation a d’ores et déjà innocenté MBS.

Agnès Callamard, auteure du rapport de l'ONU sur l'assassinat de Jamal Khashoggi

A la place, le procureur général d’Arabie saoudite a incriminé 11 personnes dans l’affaire Khashoggi, qui feraient partie du commando de barbouzes ayant fait le déplacement à Istanbul en octobre dernier. Le rapport de l’ONU, d’ailleurs, retranscrit les propos tenus par deux des meurtriers présumés de Jamal Khashoggi, Maher al-Mutreb (conseiller du prince héritier) et le docteur Salah al-Tubaigy, qui s’interrogeaient, quelques minutes avant son arrivée au consulat, sur la manière de dépecer son corps…

Si les deux personnages comptent parmi les inculpés à Riyad, Agnès Callamard appelle donc clairement à l’ouverture d’une enquête internationale et indépendante sur la responsabilité de MBS. Mais pas que. « Sur la base des informations qui m’ont été données, je suggère qu’au moins deux officiels fassent l’objet d’enquêtes plus approfondies sur leur responsabilité criminelle : Saoud al-Qahatni [un proche conseiller du prince héritier] et Mohamed ben Salman », affirme la rapporteure spéciale dans une interview à Orient XXI publiée mercredi.

« Résolution du Conseil de sécurité »

Cette dernière a également appelé à ce que la communauté internationale prenne des sanctions internationales à l’encontre du dauphin du royaume. Pour l’instant, les Etats-Unis et l’Union européenne ont pris des mesures à l’encontre de 17 Saoudiens. « Un écran de fumée, détournant l’attention de la responsabilité de l’Arabie saoudite », estime Agnès Callamard. Qui exhorte dans son rapport la communauté internationale à geler les avoirs personnels de MBS à l’étranger. « Selon les lois de l’immunité, rien n’interdit de sanctionner des individus occupant des positions comme celles du prince héritier »

Si l’étau se resserre donc sacrément autour du jeune leader saoudien, dans l’affaire Khashoggi, il n’est pas dit qu’il ne parvienne pas à passer à travers les mailles du filet. La rapporteure spéciale onusienne n’a « pas le mandat de mener une enquête criminelle internationale », comme elle l’a elle-même reconnu à Orient XXI. Raison pour laquelle elle souhaite que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, mette en place « un groupe d’experts qui pourront mener une telle enquête, construire des dossiers sur chacune des personnes qui pourront être inculpées ».

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Problème, ce dernier « n’a ni le pouvoir ni l’autorité d’ouvrir des enquêtes pénales sans mandat d’un organe intergouvernemental compétent. Il appartient aux Etats membres de le faire », a fait savoir son porte-parole adjoint, Farhan Haq, lors d’un point presse organisé mercredi à New York. « Si les Etats membres ne mènent pas une enquête pénale complète et efficace, le seul moyen de poursuivre efficacement une enquête, qui exige la coopération des Etats membres concernés, serait d’adopter une résolution du Conseil de sécurité », a quant à lui indiqué M. Guterres. Conseil de sécurité dont font partie les Etats-Unis, dont le président, Donald Trump, a jusqu’à présent toujours défendu le prince héritier saoudien…

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