La culture du changement titube en Tunisie

« En Tunisie, il devient urgent d’essayer de comprendre », estime Mounira Elbouti dans son éditorial.

A l’heure où les discours officiels, en Tunisie, se font timides et les déclarations plus factuelles les unes que les autres – sans aller au fond du sujet -, il nous a semblé important d’essayer de démystifier ces événements et de tenter de comprendre : leur nature, leurs motivations et leurs résultats potentiels.

Pour comprendre l’origine de ces protestations qui ont divisé la rue entre ceux qui accordent le droit de manifester leur colère aux jeunes désœuvrés, et ceux qui considèrent qu’il s’agit tout simplement d’un groupe de casseurs, manipulés par des parties qui veulent faire diversion sur la scène politico-sociale tunisienne, il faut remonter aux années qui ont suivi la révolution qui a fait tomber le régime Ben Ali, aux aspirations du peuple tunisien et aux différents gouvernements qui se sont succédés depuis.

Aux origines de l’implosion sociale

Cette dynamique politique a donné lieu à la succession de 13 gouvernements, 3 présidents élus, mais on ne peut, toutefois, se prononcer sur le nombre d’objectifs/promesses tenus. Le gouffre économique n’a fait que s’accentuer, en impactant sérieusement les tissus sociaux : le gel du recrutement dans la fonction publique, le taux de chômage élevé et l’inflation ont agi comme des catalyseurs de ce débordement qui arrive dans une période de saturation multi niveaux.

Mais ce n’est pas tout. Dans tout changement, qu’il soit subi ou anticipé, il faut en général un leadership capable de diffuser une culture du changement. Et la culture du changement titube en Tunisie. Et la non-adaptation de la culture dominante à l’ère de la transformation, de la rapidité, a fait que celle-ci ne s’aligne pas avec la démocratie. On parle alors de non-alignement entre culture actuelle et démocratie tout en soulignant que c’est du ressort des « leaders » de travailler sur cet alignement.

Contrat moral rompu

Avant de débattre sur la ou les définitions de la révolution en Tunisie, il semble cohérent de considérer celle-ci comme un contrat moral qui lie les citoyens à leur environnement, on se rebelle car on aspire à mieux ou car on rejette la situation actuelle : c’est alors que des attentes naissent, en marge de cette révolution, si le contrat moral n’est pas respecté soient les attentes  non atteintes, une démobilisation s’en suit. Et par conséquent, la rupture imminente du contrat moral.

Cette rupture entraîne des conséquences négatives sur la motivation, la prise d’initiative sociale et la confiance. La relation conflictuelle entre le Tunisien et la classe politique s’en trouve altérée ce qui finit par isoler cette classe, qui peine à intégrer les Tunisiens à ses processus décisionnels, en leur proposant au final, des solutions irrationnelles, non adaptées et très loin de leur réalité.

Des choix pointés par le doigt

Ces dernières années ont vu la montée d’un discours critiquant les choix des citoyens : l’exercice des urnes serait un piège et les Tunisiens ne seraient pas assez « mâtures » pour choisir et élire des personnes de confiance pour les représenter, disent certains. Mais a-t-on seulement essayé de comprendre pourquoi ? Au milieu de ce vacarme, fait de discours dissonants prononcés par des éditorialistes et des néo experts en tout ?

En résumé, si on ne comprend pas pourquoi les Tunisiens ont fait le mauvais choix, on ne pourra jamais comprendre leurs attentes et on a donc très peu de chance de trouver des solutions aux problèmes que ce pays traîne, non pas depuis 2011, mais depuis son indépendance.

Histoire bafouée, absence de cour constitutionnelle et de justice transitionnelle

L’autre problème qui peut peser lourd sur l’échiquier, ce sont les hostilités faites à l’instance Vérité et Dignité, mandatée pour gérer le processus de justice transitionnelle : perdus entre présent et passé, les laissés-pour-compte ne savent plus où se situer et quelles distances prendre avec le passé, ni comment penser le futur. Il paraît pourtant clair que dans toute révolution se cache une crise identitaire ou une recherche de vérité, sauf que dans le cas de la révolution tunisienne, la vérité reste pour l’heure, inconnue. La justice tarde à arriver et les questions existentielles fusent. Conséquence logique.

Un concours de circonstances dans lequel nous n’avons pas ouvert le chapitre : crise économique, mauvaise gestion, incompétence des dirigeants, discours en rupture totale avec le terrain. Et langue de bois politique, portée par une classe politique à l’agonie. Ce concours a fait sortir des centaines de Tunisiens de nuit comme de jour. Il ne s’agit pas dans ce plaidoyer de justifier la violence ou les brutalités mais de dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que pour une fois, au lieu de proposer une série de mesures dites urgences et ad hoc, il devient urgent d’ « essayer de comprendre ».

On n’ouvrira pas non plus le chapitre fuite des cerveaux, appauvrissement intellectuel, décadence et médias poubelle qui alourdissent l’atmosphère de la Tunisie et poussent au dégoût. Très peu de bonnes choses sont arrivées aux Tunisiens et non, ce n’est pas la faute de la révolution, mais d’une incompréhension du passé, présent et par conséquence du futur.

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