Les combattantes kurdes, une idée du féminisme

Leurs actes et leurs revendications, leur identité, évoquent ceux des combattantes algériennes lors de l’occupation française.

Tandis qu’en Iran, le combat des femmes contre le voile se poursuit et fait couler beaucoup d’encre, la situation des femmes combattantes kurdes, elle, fait bien moins de bruit. Et ce malgré son caractère très particulier dans le monde arabe-musulman, qui devrait attirer l’attention des tenant(e)s du féminisme et des droits humains aux quatre coins du globe.

Depuis la prise de Raqqa, en Syrie, par le groupe Etat islamique (EI), en 2014, jusqu’à la résistance face aux forces turques, ces dernières semaines, dans le nord du pays, les membres des Unités de défense des femmes (YPJ), brigade féminine des forces nationalistes kurdes, se battent aux côtés des hommes. Oui. En Syrie, aujourd’hui, des femmes manipulent des fusils de précision et des armes de pointe pour tuer. Et, parfois, se font tuer.

« Résistance héroïque »

La Turquie a lancé, le 20 janvier dernier, une opération militaire, baptisée « Rameau d’olivier », dans l’enclave kurde d’Afrin, dans le nord de la Syrie, pour chasser de sa frontière les forces des Unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l’Union démocratique (PYD). Deux organisations affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et, dès lors, classées « terroristes » par Ankara, mais alliées de Washington dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI).

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Le 2 février dernier, alors que les combats se poursuivaient, les troupes Kurdes ont accusé les rebelles syriens, alliés aux forces turques, d’avoir mutilé puis filmé le corps nu d’une combattante, tuée durant des affrontements près de la frontière au nord de l’enclave d’Afrin. Il s’agit, on le sait, du corps de Barîn Kobanê (son nom de guerre), une jeune femme de 23 ans qui avait combattu Daech (acronyme arabe de l’EI) à Kobané notamment.

Celle-ci a été atrocement mutilée et subi des sévices de la part des rebelles, le tout filmé et publié vendredi dernier. Autant d’actes vivement dénoncés non seulement par la communauté kurde, qui n’a pu masquer sa colère, mais également par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Les Unités de protection de la femme (YPJ), force exclusivement féminine à laquelle était rattachée la victime, ont quant à elles témoigné de la « résistance héroïque » dont avait fait preuve Barîn Kobanê.

« Utilisation » des femmes kurdes

Dans leur communiqué, elles ont également souligné « l’étendue de la barbarie et de la haine » des assaillants. Ceci à juste titre : on peut voir, sur la vidéo récupérée par l’OSDH – et largement diffusée sur les réseaux sociaux -, une dizaine de combattants, certains armés, autour du cadavre ensanglanté et atrocement mutilé d’une femme allongée au sol. « Barîn n’a pas capitulé. Elle s’est battue jusqu’à la mort », a tenu à préciser Amad Kandal, une responsable au sein des YPJ.

« Ce type de comportement ne fera que renforcer notre détermination à résister jusqu’à la victoire » a-t-elle ajouté, soulignant que ces agissements « nous rappellent l’EI et ses exactions à Kobané ». De leur côté, les opposants en exil de la Coalition nationale syrienne se sont indignés et ont demandé l’ouverture immédiate d’une enquête après ces « actes criminels ». Et le frère de la victime, lors des funérailles de Barîn Kobanê, de vanter son courage « héroïque ».

« Elle voulait, à travers son engagement […] lutter en faveur de la dignité et du progrès de l’humanité et révéler au monde entier le sens de l’injustice et de l’oppression » a-t-il déclaré. Des propos qui ne sont pas sans rappeler le destin d’Asia Ramazan Antar, une jeune femme kurde aux yeux noisette et à la moue encore adolescente, qui avait péri sous le feu de Daesh (acronyme arabe de l’EI) en août 2016, près de Manbij. Et entraîné bien malgré elle une flopée de réactions sur l’« utilisation » des femmes kurdes dans le conflit.

« La dictature c’est le patriarcat »

A l’époque, une photo d’elle, mitraillette crânement posée sur l’épaule, avait fait le tour du Web. L’occasion, pour la scène médiatique, de ressortir le surnom dont la presse britannique l’avait affublée : « l’Angelina Jolie du Kurdistan ». « Quel meilleur moyen de nier son identité, son histoire, son existence ? » s’était-on demandé à l’époque. « Ne fallait-il pas rappeler, à la place, la racine de son engagement : combattre l’intégrisme – dont les femmes sont les premières victimes -, celui-là même contre lequel le monde se bat aujourd’hui ? »

Sans doute. Car les images de combattantes kurdes n’ont servi, jusque-là, qu’à renforcer les stéréotypes classiques sur les femmes et la violence. Leurs détracteurs d’avancer, au contraire, le courage et la détermination dont elles font preuve, oubliés, parfois, par les médias, au profit de la « glamourisation de la lutte ». Un glissement vers le « sensationnel » volontairement orchestré, d’ailleurs, par les autorités kurdes elles-mêmes, à des fins de propagande – même si la question est bien plus complexe.

Ces combattantes, leurs actes et leurs revendications, leur identité, évoquent les combattantes algériennes lors de l’occupation française ; ces femmes libres, transformées en héroïnes de la révolution, à l’instar de Djamila Boupacha – qui avait marqué l’esprit de Picasso -, Zhor Zerrari, Hassina Benbouali, Djamila Bouhired, Louisette Ighilahriz et tant d’autres. Début février dernier, l’écrivaine et poétesse libanaise Hyam Yared, déclarait qu’au Moyen-Orient, « la dictature c’est le patriarcat ». Saluons donc la révolte de celles qui, de l’Algérie à la Syrie, en passant par l’Iran, se battent pour la liberté.

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