La faim menace plus de la moitié de la population au Soudan du Sud

« La situation alimentaire est désastreuse » selon Matthew Hollingworth, directeur du Programme alimentaire mondial au Soudan du Sud.

Environ 6,5 millions de personnes, au Soudan du Sud, soit plus de la moitié de la population, pourrait connaître une insécurité alimentaire aiguë, au plus haut de cette « saison de la faim » – entre mai et juillet -, d’après trois agences des Nations unies (ONU). La situation est particulièrement préoccupante dans les zones les plus touchées par les inondations de 2019, où la sécurité alimentaire s’est considérablement détériorée depuis juin dernier, selon le rapport IPC – une classification par besoins en termes de sécurité alimentaire – publié le 20 février par le gouvernement du Soudan du Sud, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial (PAM).

Invasion de criquets

« Au Soudan du Sud, l’IPC est devenu depuis deux ans la base sur laquelle décider de la situation géographique et la portée des interventions d’urgence, notent la quinzaine d’organisations à l’origine des rapports. En effet, l’IPC a été désigné par le gouvernement comme la seule méthodologie reconnue. L’information nutritionnelle étant complètement intégrée dans l’analyse de la sécurité alimentaire, l’IPC aide à prioriser les efforts parmi le spectre étendu des données produites au Soudan du Sud. » Les phases de l’IPC vont de « minime » à « catastrophe », en passant par « stress »« crise » et « urgence ».

Les 20 000 personnes qui, de février à avril, souffriront des niveaux de faim les plus extrêmes (niveau « catastrophe » ou IPC 5) dans les comtés d’Akobo, de Duk et d’Ayod, frappés par de fortes pluies l’année dernière, sont particulièrement menacées et ont besoin d’une aide humanitaire urgente et soutenue. « La faim devrait s’aggraver progressivement d’ici juillet, principalement dans les régions de Jonglei, du Haut-Nil, de Warrap et de Northern Bar el-Ghazal, où plus de 1,7 million de personnes sont confrontées à un niveau « d’urgence » (IPC 4) en raison des conséquences des inondations dévastatrices et des faibles niveaux de production alimentaire. Trente-trois comtés atteindront un niveau « d’urgence » d’insécurité alimentaire pendant la saison de la faim, contre 15 en janvier », indiquent les agences onusiennes dans leur communiqué.

« Malgré quelques améliorations saisonnières de la production alimentaire, le nombre de personnes souffrant de la faim reste dangereusement élevé et ne cesse d’augmenter. De plus, nous sommes maintenant confrontés à des essaims de criquets pèlerins qui pourraient encore aggraver la situation. Il est important que nous maintenions et renforcions notre soutien aux populations du Soudan du Sud afin qu’elles puissent reprendre ou améliorer leurs moyens d’existence et leur production alimentaire, et renforcer la capacité du gouvernement à répondre à l’invasion de criquets », a déclaré Meshack Malo, le représentant de la FAO au Soudan du Sud.

Pluies favorables

La faim devrait s’aggraver à partir de février, principalement en raison de l’épuisement des stocks alimentaires et des prix élevés des denrées. Dans l’ensemble, les effets cumulés des inondations et des déplacements de population qui en découlent, de l’insécurité localisée, de la crise économique, de la faible production agricole et des années prolongées d’épuisement des ressources continuent de maintenir les gens dans la faim.

« La situation alimentaire est désastreuse, a déclaré Matthew Hollingworth, directeur du PAM au Soudan du Sud. Toute amélioration apportée a été contrebalancée par les inondations de la fin 2019, en particulier pour les communautés les plus difficiles à atteindre. Mais ce pays se trouve à un moment charnière. Ce samedi, le gouvernement d’unité nationale devrait être formé, et les fusils définitivement réduits au silence. Nous devrons faire plus pour répondre aux besoins urgents des plus vulnérables et pour que les communautés de tout le pays puissent se relever afin qu’à l’avenir, elles puissent résister aux inévitables chocs climatiques et alimentaires ».

Le rapport IPC note également que la paix et la stabilité relatives du pays ont conduit à une certaine amélioration de la situation générale de la sécurité alimentaire, la prochaine soudure – période précédent les premières récoltes où le grain de la dernière saison peut venir à manquer – devant être légèrement moins sévère que celle de l’année dernière, où 6,9 millions de personnes étaient en « crise », voire pire. Par exemple, depuis la signature de l’accord de paix revitalisé en septembre 2018, la production céréalière a augmenté de 10 %, et un environnement plus stable a permis à certains agriculteurs de reprendre leurs activités. Ce qui, combiné à des pluies favorables, a entraîné une augmentation de la production alimentaire.

« Approche multisectorielle »

Tout ceci n’empêchera pas 1,3 million d’enfants de souffrir de malnutrition aiguë, indique par ailleurs le rapport. « Entre 2019 et 2020, la prévalence de la malnutrition aiguë chez les enfants a légèrement augmenté, passant de 11,7 à 12,6 % dans tout le pays, mais l’augmentation a été considérablement plus importante dans les comtés touchés par les inondations – de 19,5 à 23,8 % dans le Jonglei, et de 14 à 16,4 % dans le Haut-Nil. Cette situation peut être attribuée à une diminution de la nourriture disponible et à une morbidité élevée – principalement due à l’eau contaminée et à une recrudescence de la malaria due à l’eau stagnante », estiment les agences de l’ONU dans leur communiqué.

« Au fil des ans et avec le soutien des donateurs, nous sommes devenus bons pour traiter la malnutrition. Grâce au soutien de l’UNICEF et de ses partenaires, 92 % des enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère ont reçu une assistance et plus de neuf sur dix se sont rétablis. Pourtant, ces enfants ne devraient pas être sous-alimentés en premier lieu. L’accès à une nourriture suffisante, à une alimentation correcte, à l’eau, à l’assainissement, à l’hygiène et aux services de santé sont des droits de l’Homme, essentiels pour prévenir la malnutrition. Il faut un changement de paradigme avec une approche multisectorielle de la malnutrition, en s’assurant que nous sommes aussi bons pour la prévention que pour le traitement », a de son côté déclaré Mohamed Ag Ayoya, le représentant de l’UNICEF au Soudan du Sud.

Cette année, la FAO devrait augmenter la production alimentaire et protéger les moyens de subsistance en distribuant des semences, des outils agricoles, des kits de pêche et de légumes, et en fournissant une aide en espèces aux personnes les plus démunies. L’agence de l’ONU procèdera également à la vaccination et au traitement du bétail, afin de protéger plus de 3 millions d’animaux contre les maladies et la malnutrition. La FAO vient à ce titre de lancer un appel de 75 millions de dollars pour son programme d’intervention 2020.

 

Crédits photo : WFP/Gabriela Vivacqua

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