« Le Hirak est le surhumain de Nietzsche. Il est l’augmentation de notre amour de la patrie et la plus belle version de nous. »
Un an après le déclenchement des manifestations anti-pouvoir en Algérie (« Hirak »), le 22 février 2019, la lutte pour la démocratie se poursuit dans les rues du pays. Le président Tebboune, élu en décembre dernier en remplacement d’Abdelaziz Bouteflika, a demandé du temps pour donner droit aux revendications populaires.
Ce soir, W. m’a demandé de choisir un film. Et d’ajouter : « Et que ça soit un bon film, s’il te plaît ! ». Puis, à nouveau : « Allez choisis, choisis ! ». Ces mots, martelés dans ma tête, m’ont emmenée loin. Ils m’ont rappelé que là où je suis née, on m’a rarement demandé de « choisir », ceci en insistant. Le choix, nous ne l’avions pas toujours, c’était un luxe. Et il était, de toute façon, un processus difficile et risqué.
Pourtant, ce soir, il y a bien un film qui tourne dans ma tête, celui du « Hirak » – du nom des manifestations qui émaillent les rue d’Algérie depuis le 16 février 2019. L’un des meilleurs de tous les temps à mes yeux. Ne sautez pas de suite sur le sens figuré, que vous voulez péjoratif, le Hirak est loin d’être du cinéma ou de la fiction. Il est un excellent scénario, qui nous fait rêver comme Hollywood le fait.
Violence
Seulement, à la différence d’Hollywood, cette fois-ci, ce qui nous fait rêver est une production 100 % algérienne et nous en sommes les acteurs, chacun à notre façon. Cette production, donc, est le reflet d’un espoir que nous avons su préserver malgré toute l’amertume vécue et cumulée ces dernières années.
Mais ce film, W. ne le connaît pas assez. Il n’est pas l’un de ses enfants ; il en est un sympathisant. Il croit au changement et à la démocratie, et forcément à la révolution. Le Hirak, c’est notre grande révolution récupérée, nos rêves enlacés.
Et c’est la plus belle image que j’ai de mon Algérie et des Algériens, qu’on a tenté de dissuader, qu’on a qualifié d’incapables, de violents, de sous-développés et j’en passe. Nous avons donné une leçon de civisme au monde. Et plus encore, quelque chose de rare de nos jours et difficile à partager, une « leçon d’espoir ».
Avouez qu’il est difficile, pour un peuple foncièrement révolutionnaire, de voir sa révolution tant attendue tendre vers la velléité. Comprenez la frustration de millions de jeunes avides de changement, dans un monde en transformation, d’avoir un mal fou à déraciner le mal.
Mais de poursuivre sa lutte, devant un Occident et un Moyen-Orient silencieux et des voisins peu loquaces sur son avenir et même sa raison d’être. Vous me direz que nous avons toujours porté seuls nos luttes, sur des épaules ensanglantées mais solides.
Pour W., le Hirak manque de « violence », il devrait hausser le ton pour se faire entendre. La mordue de Marx que je suis ne l’entend pas ainsi. Le Hirak vaincra par son pacifisme, triomphera par sa sagesse.
Post-héroïques
Organisé, ponctuel et persévérant, le Hirak représente tout ce que nous ne savons pas être dans notre quotidien, nous autres, nerveux et pressés. Le Hirak est le surhumain de Nietzsche. Il est l’augmentation de notre amour de la patrie et la plus belle version de nous.
Ce n’est pas une question de vendredis ni de slogans, mais de volonté, d’amour et d’agilité. Oui, le Hirak est agile, il est 2.0 n’en déplaise aux jaloux – encore une phrase « typiquement DZ » (typiquement algérienne). Agile car il rassemble sans trop d’efforts, il s’adapte à toutes les saisons, à toutes les conditions. Il est jeune, smart, flexible et ultra connecté. Le Hirak est la transformation numérique de l’Algérie.
Il incarne une nouvelle culture, une nouvelle façon de penser, libérée et agile. Il donnera forcément naissance à de nouvelles figures de leaders : des leaders post-héroïques, servants et informels. Des femmes leaders pourquoi pas. Les hirakistes et les femmes à leur tête vont transformer ce pays. Le Hirak vaincra et l’Algérie vivra.
Lire aussi : Algérie : le président Tebboune veut faire de l’ « intégration régionale une réalité »
Crédits photo : RYAD KRAMDI/AFP

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.