« La corruption a été si lucrative qu’elle a infecté tous les secteurs de l’économie et toutes les institutions de l’Etat ».
Tandis que la moitié de la population, au Soudan du Sud, connait la faim (soit 6 millions de personnes), les autorités n’hésitent pas à s’en mettre plein les poches. Voilà ce qu’affirme un communiqué de la Commission des Nations unies (ONU) pour les droits de l’Homme au Soudan du Sud publié jeudi 20 février. Alors que le pays s’éloigne de la guerre civile, « les responsables du [pays] ont détourné des millions de dollars de fonds publics dont les civils ont grandement besoin », révèlent les commissaires.
« Aujourd’hui, au Soudan du Sud, les civils sont délibérément affamés, systématiquement surveillés et réduits au silence, arbitrairement arrêtés et détenus et se voient refuser un accès significatif à la justice », indique de son côté le 4ème rapport de la Commission transmis jeudi, juste avant la date butoir du 22 février pour la formation d’un gouvernement d’union national au Soudan du Sud. Il ajoute aux préoccupations générales que la violence mortelle diffuse, l’utilisation d’enfants soldats, la répression et la violence sexuelle continuent de mettre en péril la paix fragile dans la plus jeune nation du monde.
« Moment critique »
Des millions de dollars ont été détournés de l’Autorité du revenu national, épuisant des ressources qui auraient pu être utilisées pour protéger, réaliser et promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels vitaux des civils du Soudan du Sud, selon le rapport. Les niveaux extrêmes de pauvreté et le manque d’accès aux services essentiels tels que les soins de santé et l’éducation ont été exacerbés par des actes qui équivalent à des crimes économiques perpétrés par des membres de l’appareil d’Etat, dénonce-t-il également.
« La corruption a rendu plusieurs fonctionnaires extrêmement riches aux dépens de millions de civils affamés, affirme la commission de l’ONU dans son communiqué. La corruption a été si lucrative qu’elle a infecté tous les secteurs de l’économie et toutes les institutions de l’Etat ». Ceci depuis que la guerre civile, qui a tué près de 400 000 personnes et fait fuir plus de 2 millions de Sud-Soudanais, a éclaté, deux ans après l’indépendance du pays en 2011.
« Ces politiques ont été envisagées et mises en œuvre dans le cadre d’une stratégie plus large visant à priver les communautés ennemies de ressources afin de forcer leur capitulation, de permettre aux soldats et aux milices de se récompenser, de déplacer de force les communautés de leurs terres ancestrales qui pourraient alors être expropriées ou simplement de contraindre les individus à rejoindre les différentes factions engagées dans le conflit », selon le rapport. Qui ajoute que le gouvernement sud-soudanais n’a ni enquêté ni puni les auteurs de ces crimes.
« Le Soudan du Sud se trouve à un moment critique où ses dirigeants doivent faire des choix fermes pour faire avancer le processus politique bloqué de mise en œuvre de l’Accord revitalisé sur la résolution du conflit, a noté Barney Afako, membre de la Commission. Nous demandons instamment à toutes les parties de redoubler d’efforts pour résoudre les principales questions en suspens ».
Insécurité alimentaire aiguë
Se félicitant de la récente décision du gouvernement sud-soudanais et du président Salva Kiir de réduire à dix le nombre d’Etats dans le pays, un point d’achoppement majeur dans le processus de paix, les commissaires ont noté que la création proposée de trois zones administratives reste controversée. Un autre défi restant à relever est la question des dispositions de sécurité, notamment la formation de forces unifiées et la protection des hauts dirigeants de l’opposition.
Le processus de paix revitalisé, signé en septembre 2018, a conduit à une paix fragile au niveau national, le conflit s’étant transformé en une intensification de la violence ethnique au niveau local. Le rapport note avec une grande inquiétude le nombre d’attaques brutales impliquant des pillages de bétail par des membres de l’appareil d’Etat et de l’opposition, qui se traduisent par des taux alarmants de déplacement selon des critères ethniques, en particulier dans les Etats du Bahr el Ghazal occidental, de l’Unité et du Jonglei.
Par ailleurs, les forces gouvernementales et l’opposition continuent de recruter de force des hommes et des garçons en violation du droit international humanitaire. La Commission a documenté des incidents impliquant huit unités distinctes des forces armées et des groupes armés qui recrutent, entraînent et utilisent des enfants âgés de 12 ans seulement. Le recrutement d’enfants est contraire à la législation nationale du Sud-Soudan et au droit des traités, notamment au protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, auquel le Sud-Soudan a adhéré en septembre 2018.
Dans le rapport IPC – une classification par besoins en termes de sécurité alimentaire – publié jeudi 20 février par le gouvernement sud-soudanais, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial (PAM), on apprend qu’environ 6,5 millions de personnes, au Soudan du Sud, soit plus de la moitié de la population, pourrait connaître une insécurité alimentaire aiguë, au plus haut de cette « saison de la faim » – entre mai et juillet. La situation est particulièrement préoccupante dans les zones les plus touchées par les inondations de 2019, où la sécurité alimentaire s’est considérablement détériorée depuis juin dernier, selon le rapport.
