De l’importance des listes indépendantes lors des municipales en Tunisie

Les élus non inféodés aux deux partis majoritaires pourront les empêcher de composer avec le système, corrompu.

Pour comprendre les élections municipales du 6 mai prochain, tâchons dans un premier temps de saisir l’évolution de la politique tunisienne, depuis les dernières élections législatives, en 2014. Nidaa Tounes, le parti présidentiel, grand vainqueur du scrutin, a implosé, affaibli par la guerre clanique entre le fils du président et ses détracteurs. Son secrétaire général, Mohsen Marzouk, a démissionné et a formé un nouveau parti, Machrou Tounes. De son côté, le « second parti de Tunisie », Ennahdha (islamo-conservateur), place lentement mais sûrement ses hommes dans les hautes sphères de l’Etat. Et montre patte blanche sur tous les sujets de société, allant même parfois jusqu’à adopter une position plus moderniste que les modernes.

Le Front populaire, plus agressif que jamais, prétend être enfin prêt à gouverner, quand le Courant démocrate, fondé par Mohamed Abbou, Machrou Tounes, donc, et le 7arak de Moncef Marzouki, apparaissent sur la liste des partis émergeants. Toute une opposition qui, se basant sur le mécontentement populaire – dû à des difficultés économiques persistantes -, a toujours affirmé que les deux partis au pouvoir n’avaient plus aucune légitimité. Et a même réclamé des élections législatives anticipées, pour mettre fin à ce « règne à deux têtes », sûre de sa force protestataire. Quant aux listes indépendantes – qui peuvent faire office de troisième groupe -, elles auront sans doute un rôle à jouer lors de ce scrutin.

Qui, faut-il le rappeler, comporte deux étapes obligées : la première, réussir à former des listes électorales ; la seconde, faire le meilleur score possible. Ennahdha et Nidaa Tounes ont évidemment passé brillamment le premier « examen » ; en deux temps, trois mouvements les deux partis ont réussi à présenter des listes électorales approuvées par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) dans presque 98 % des municipalités. Un signe de bonne santé, alors qu’on les disait usés par le pouvoir ? Possible. Quant au second groupe, celui des émergeants, il est parvenu à confectionner des listes dans plusieurs dizaines de municipalités.

Ancien système

S’agissant des résultats, une simple observation de la répartition des listes permet d’en dresser un aperçu – déjà. Ennahdha et Nidaa Tounes, vraisemblablement, remporteront haut la main le scrutin, suivis de loin par le Front populaire talonné par Machrou Tounes et le Courant démocrate. La grande inconnue restant la place des listes indépendantes. N’oublions pas que la confiance des Tunisiens dans les partis politiques est au plus bas et qu’un vote sanction n’est pas impossible. Les élections municipales restent des élections de proximité et les gens voteront pour des personnes connues pour leur intégrité. Or, beaucoup ont refusé d’intégrer les partis politiques traditionnels et se retrouvent de facto en tête de liste indépendante.

Quant à l’impact de ces élections sur la gouvernance des municipalités, n’oublions pas, non plus, que l’ancien système est toujours là. Un ancien système dont la machine, huilée par des décennies d’expérience, ne restera pas les bras croisés face à une concurrence, fût-elle élue de manière démocratique. Une certitude, cependant, saute aux yeux : ceux qui remporteront les élections municipales auront du mal à changer le quotidien des citoyens dans les mois qui viennent ; la « guerre froide » entre eux et le système perdurera mécaniquement. Sauf que, dans cet affrontement, Ennahdha et Nidaa Tounes ont montré qu’ils préféraient composer selon le système ; y aller avec le dos de la cuillère, doucement, avec amour et sensualité.

C’est là ou l’importance du résultat des listes indépendantes sera vital. Car un conseil municipal où siègeront des indépendants aura beaucoup plus de difficultés à composer avec le système – corrompu quoi qu’on en dise – qu’un conseil formé par les deux partis majoritaires. Qui, s’ils ne parviennent pas à satisfaire la population, seront jugés sur l’autel des élections législatives, en 2019, à l’heure du bilan. Où s’ajouteront les promesses de 2014 non tenues. Politique fiction ? Oui, mais pas seulement. Car la situation, économique surtout, tarde trop à s’améliorer ; les Tunisiens sont fatigués d’attendre, élection après élection, des jours meilleurs. Et si les sanctions étaient pour le printemps 2018, en Tunisie ?

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