De nouvelles exécutions extrajudiciaires à Mossoul ?

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21.04.2018

Human Rights Watch soupçonne l’administration irakienne d’avoir commis de tels actes contre certains membres de Daech.

Les autorités irakiennes tentent-elles de masquer des exécutions qu’elles n’auraient pas dû commettre ? Hier, Human Rights Watch (HRW) a révélé que des membres de l’administration irakienne avaient retiré environ 80 corps d’une maison endommagée, à Mossoul, après un incident survenu le 29 mars dernier, et brûlée quelques jours plus tard. Si Bagdad a déclaré qu’il s’agissait de « restes de suspects » du groupe Etat islamique (EI), d’après le communiqué publié par l’ONG, ajoutant que « les représentants du ministère de la Santé et du ministère de l’Intérieur ont déclaré qu’ils n’étaient pas autorisés à partager des informations sur l’endroit où les corps ont été emmenés », « rien n’indique que les décès font l’objet d’une enquête » selon HRW.

Exécutions extrajudiciaires

Or, « compte tenu des graves abus commis au cours des dernières semaines de la bataille contre l’EI dans la vieille ville de Mossoul, ce site et les corps auraient dû être conservés comme preuves potentielles pour les enquêteurs médico-légaux » estime Lama Fakih, directrice adjointe de HRW pour le Moyen-Orient. Les troupes irakiennes ont repris la « capitale » de Daech (acronyme arabe de l’EI) en juillet 2017 et, depuis, HRW soupçonne l’administration de s’être rendue coupable de crimes de guerre. Alors que le Premier ministre irakien, Haïder al-Abadi, a promis d’enquêter sur de tels actes, sans résultats tangibles près d’un an plus tard, « les actions de ses propres fonctionnaires sur ce site parlent plus fort que les mots » affirme Mme Fakih.

L’organisation de défense des droits humains d’alerter déjà, en juillet dernier, sur d’éventuels cas de tortures et d’exécutions par l’armée irakienne. Dans son communiqué publié hier, elle affirme également que « certaines forces provenaient d’une division de l’armée irakienne entraînée par le gouvernement des Etats-Unis. » Et « au cours de la même période, quatre vidéos sur Facebook, qui auraient été filmées à Mossoul ouest, semblent […] montrer des soldats irakiens et la police fédérale battant et tuant – de manière extrajudiciaire – des détenus. » Résultat : en septembre dernier, le bureau du Premier ministre irakien a annoncé la création d’un comité spécial chargé d’enquêter sur ces abus. Dont les résultats se font encore attendre.

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Haïder al-Abadi avait pourtant déclaré que les soldats coupables de tels actes, dans le cadre de la bataille contre l’EI, seraient tenus responsables. « En dépit de multiples enquêtes, Human Rights Watch n’a toutefois pas été en mesure d’obtenir des informations sur les résultats des enquêtes et n’a trouvé aucune preuve que des officiers aient été tenus responsables des abus commis dans le cadre de l’opération de Mossoul. » Pire, au lieu de poursuivre les personnes qui se seraient rendues coupables d’abus, l’administration chercherait à masquer les preuves des exécutions extrajudiciaires, selon l’organisation ; mais le dossier vient donc d’être relancé avec la découverte des 80 corps dans cette « maison endommagée ».

« Scène de crime »

Des chercheurs de HRW, alertés par un travailleur médical dans la région le 29 mars dernier, sont entrés dans cette maison et ont trouvé une pièce pleine de restes humains. Des fonctionnaires municipaux, ainsi que des représentants du ministère de la Santé et du ministère de l’Intérieur se trouvaient sur le site, les seconds plaçant les cadavres dans des sacs mortuaires. D’après le communiqué, trois personnes ayant assisté à des actes de tortures et exécutions dans la vieille ville, en juillet 2017, ont déclaré juste après l’épisode du 29 mars que la maison « était très proche de l’endroit où ils avaient vu les forces irakiennes capturer et détenir des suspects de l’EI. »

D’après HRW, dont certains experts se sont rendus sur place, « les corps étaient empilés et mal décomposés, de sorte que les chercheurs ne pouvaient pas déterminer la cause de la mort […]. Au moins un corps semblait avoir les jambes liées. » Aucune marque de balistique ou éclaboussure de sang sur les murs, ce qui indique que les corps ont été placés là après la mort, estime l’organisation. Et « rien n’indiquait que les autorités irakiennes traitaient le site comme une scène de crime. Il n’y avait pas de policiers ou d’autres enquêteurs, et les travailleurs qui retiraient les corps ne semblaient pas recueillir des preuves. » 

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HRW a donc écrit au Comité des droits de l’Homme du cabinet du Premier ministre, le 17 avril dernier, afin de demander si une enquête était en cours pour identifier les morts et la cause des décès. Et attend toujours la réponse. « Lorsque HRW a demandé à un fonctionnaire du ministère de la Santé sur le site où les corps ont été enlevés et ce qu’ils allaient en faire, le fonctionnaire a répondu de manière agressive » indique par ailleurs l’organisation. Des chercheurs ont également appelé un ingénieur de la municipalité de Mossoul pour poser la même question ; sauf que des agents du renseignement lui avaient dit de ne fournir aucune information. Seul un expert médico-légal international a déclaré à HRW que, dans certains pays, les cadavres étaient brûlés pour éviter que ne se propagent des maladies. Pas sûr que l’explication soit suffisante.

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