« Le discours féministe manque de personnification, il met très peu en valeur la culture locale ».
La semaine du 25 septembre, deux féminicides ont secoué la rue tunisienne et algérienne : deux jeunes filles violées et assassinées dont les parents appellent à l’application de la peine de mort.
L’assassinat abject de la jeune Chaima a suscité un tollé en Algérie. La victime âgée de 19 ans a été torturée, violée et brûlée vive par son bourreau à Boumerdes, dans la banlieue d’Alger. L’assassin serait une connaissance de la famille de Chaima, d’après sa mère. La jeune fille aurait, selon la même source, porté plainte contre lui pour viol en 2016.
De l’autre côté de la frontière, à la même période, Rahma, 29 ans a été violée et tuée, son corps a été retrouvé dans un fossé à Aïn Zaghouan, dans la banlieue de Tunis,
Femmes et lois
Pur hasard, ces deux crimes crapuleux ont eu lieu la même semaine. Les sociétés tunisienne et algérienne ont été secouées par ces deux féminicides qui viennent s’ajouter à une longue série de crimes plus crapuleux les uns que les autres.
Toutefois, si les coutumes et les traditions se ressemblent dans les deux pays géographiquement très proches, les lois quant à elles : diffèrent.
« On ne peut parler de libertés sans évoquer le droit, la liberté étant elle-même le produit de la réglementation », (Paul Ricoeur).
Pourtant, si en Tunisie le progressiste Code de Statut Personnel (CSP) offre une plus grande liberté aux femmes tunisiennes, le code de la famille ou comme aiment à l’appeler les féministes « le code de l’infamie » algérien ne diffère pas beaucoup de la chariaa musulmane. Dans ce cas, on se demande si la réglementation était à elle seul, le garant de la liberté ?
L’autre point commun entre ces deux crimes élevés par leur caractère abject au rang de question d’opinion publique, c’est qu’elles ont, par truchement, ravivé un autre débat : celui de la peine de mort…
Le débat qui s’incruste
Et aux arguments de fuser, aux écrits de se succéder. Les réseaux sociaux sont devenus, l’espace de quelques jours, une tribune sur mesure pour les plaidoyers des pro et contre peine capitale : des arguments religieux, des motivations personnelles. Et des exemples cités des pays où l’on pratique toujours ou ne pratique plus la peine de mort. Certains ont changé leur photo de profile facebook pour dire haut ce qu’ils pensaient : « Non à la peine de mort ».
On est donc passé de « Stop féminicides » à « Non à la peine de mort » ou « Appliquez la peine capitale » ( Al Qisas, ndlr). A cette période, le discours féministe s’est fait timide, au profit de celui de la peine de mort. Et c’est là, tout le problème.
Quelle que soit la législation en vigueur dans le pays arabo-musulman concerné par ces féminicides, c’est, encore une fois, l’application de la loi qui est problématique. Les projets de loi absents qui devraient encourager la lutte contre les violences faites aux femmes, la sensibilisation quasi absente et le manque de volonté politique pour faire changer les choses.
Prenons l’exemple de la Tunisie, le CSP tant adulé par les défenseurs des libertés n’a pas empêché les féminicides d’avoir lieu, n’empêche pas les femmes de subir des violences conjugales et encore moins les femmes rurales de travailler dans l’agriculture dans l’informel en étant transportées dans les camions de la mort ; ce code qui défend pourtant le droit à l’avortement et abolit la polygamie n’évite pas aux aides ménagères d’être exploitées et sous payées.
Conclusion : le modèle féministe arabe n’est pas adapté à la société arabo musulmane. Le combat féministe importé avec ses slogans importés n’a pas vraiment donné ses fruits chez nous. Et ce n’est pas seulement une question de lois et de réglementations.
Un discours féministe loin de la réalité ?
Le discours féministe manque de personnification, il met très peu en valeur la culture locale pour mieux en saisir les problèmes et les enjeux : si les problèmes sociaux liés au genre dans les sociétés occidentales se résument en grande partie au conflit des sexes, le chemin de l’égalité est encore long chez nous : de la liberté sexuelle à l’appropriation du corps en passant par des lois et des décrets consacrent l’inégalité des sexes.
Et même si ces deux pays ont connu respectivement le hirak et la révolution avec des femmes en avant de la scène, le changement n’a pas touché la lutte féministe qui n’a toujours pas su se renouveler pour s’adapter au contexte.
Pourtant, avec l’avènement du hirak : on y a cru car parmi les manifestants, il y avait beaucoup de femmes hissant le drapeau algérien, brandissant des slogans appelant à la démocratie, la liberté et l’égalité. Nous avons pensé à l’émergence d’une nouvelle forme de lutte féministe en Algérie : Le carré féministe algérien qui est porté disparu depuis : s’est-il simplement éteint avec le hirak ?
Lutte féministe et révolution
Il faut savoir qu’ il ne s’agît nullement d’un fait nouveau, à l’époque, les révolutionnaires algériennes et les pays ayant soutenu la révolution n’escomptaient guerre un tel sort pour les algériennes qui constituaient alors des réactionnaires à part entière puisqu’elles ont pris les armes contre le colonisateur français se trouvant en première ligne du front, côte à côte avec les hommes. A voir le statut actuel de la femme algérienne, dans les lois, on se demande alors ce qu’il s’est passé.
Wassila Tamzali : « Nous avons été réduites à être les Cassandre de notre pays. Il est urgent que ça change car nous aurons le destin de Troie, et aux ruines de 1962 s’ajouteront celles de février 2019. »
Il est donc des leçons à retenir des erreurs passées, notamment pour les associations féministes et les militants qui s’accrochent à un modèle de lutte passé de mode et qui refusent de renouveler leurs mécanismes de lutte.
Si l’ère est à la révolution numérique, le militantisme des réseaux sociaux doit plus que jamais être pris au sérieux pour pouvoir être développé.
L’heure est à la stratégie de lutte.

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.