Les leaders palestiniens devaient se rencontrer aujourd’hui au Caire pour discuter d’un éventuel gouvernement d’union nationale.
Signe que la réconciliation devait avoir lieu, le chef du Hamas, Yahya Sinouar, avait promis en octobre dernier de « briser la nuque » de quiconque s’opposerait au rapprochement avec le Fatah. Résultat : les têtes tiennent toujours en place et d’ici au 1er décembre prochain, l’Autorité palestinienne (AP) du président Mahmoud Abbas devrait avoir repris le contrôle total de la bande de Gaza. Après dix ans de guerre fratricide entre les deux régimes politiques – revendiquant chacun la représentation du peuple palestinien –, l’espoir d’une réunification laisse entrevoir une amélioration des conditions de vie dans le territoire gazaoui et, éventuellement, une décrispation des relations avec Israël.
Le « conflit des Frères » débute en 2006, après la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes de janvier, notamment permise par la corruption rampante qui gangrénait le parti du défunt Yasser Arafat, le Fatah, celui-ci refusant de reconnaître sa défaite. L’idée d’une coalition d’union nationale rapidement abandonnée, la période de mars à décembre est marquée par l’escalade des tensions ; l’AP, qui n’accepte pas de se plier aux injonctions du gouvernement chapeauté par le Hamas, se lance dans l’exaction et l’assassinat de ses hauts dirigeants. Et sera rapidement imité par son « adversaire », qui choisit également d’investir la bande de Gaza en signe de protestation. De janvier 2006 à juin 2007, plus de 600 Palestiniens y seront tués au cours d’affrontements armés.
Droit d’Israël à l’existence
La population est alors partagée entre deux mouvements – le Hamas a obtenu 41 % des voix et le Fatah 36 % aux législatives – aux « origines très différentes » selon Jean-François Legrain, chercheur au CNRS, interviewé par Le Monde en décembre 2006. « Le Fatah est un mouvement de libération nationale qui est apparu à la fin des années 1950 et qui est devenu la principale force du nationalisme palestinien. […] C’est elle qui a constitué l’épine dorsale de l’Autorité palestinienne d’autonomie mise en place dans le cadre des accords d’Oslo à partir de 1993 ». A l’inverse, « le Hamas est un mouvement de Frères musulmans qui a pour mot d’ordre principal la prédication active d’une certaine lecture de l’islam » d’après Jean-François Legrain.
Ce dernier de mettre toutefois en garde : il ne faut « pas tomber dans une approche de facilité en opposant une OLP [Organisation de libération de la Palestine, dont le Fatah est la plus grande organisation, ndlr] laïque à un Hamas islamiste ». Les deux mouvements s’entendent notamment sur la création d’un Etat palestinien et la fin de l’occupation militaire israélienne. « La différence entre les deux organisations, c’est qu’en ce qui concerne le Fatah et l’OLP, il y a eu une reconnaissance du droit d’Israël à l’existence, tout en exigeant la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël. […] Le Hamas, quant à lui, préconise la coexistence de deux Etats en Palestine, tout en refusant d’accorder une légitimité de principe à l’existence d’un Etat non islamique » expliquait le chercheur au CNRS.
Crise humanitaire
Tandis que les tensions se poursuivent entre les deux mouvements « frères », l’Etat hébreu, qui classe, tout comme les Etats-Unis et l’Union européenne (UE), le Hamas sur sa liste des entités terroristes, connaitra une série d’affrontements avec les Gazaouis – associés à différentes milices djihadistes –, dont la guerre de Gaza, entre décembre 2008 et janvier 2009, qui fera plus de 1 300 victimes côté palestinien et 13 côté israélien. En 2012, également, à la suite d’attaques frontalières répétées, l’armée israélienne mènera une opération militaire contre le Hamas, dont les dirigeants reconnaissent à l’époque que sa stratégie est « parfois une trêve, parfois une escalade, parfois tirer des roquettes, parfois non. »
Les conséquences de ces conflits à répétition sont quant à elles bien déterminées. Comme le résumera Richard Horton, rédacteur en chef de The Lancet, un journal médical britannique, « depuis 2000, les territoires palestiniens occupés ont subi un accroissement de l’insécurité, en raison de l’érosion voire de l’effacement complet de nombreux progrès sanitaires enregistrés jusqu’alors. […] Ces revers, ajoutés aux offensives israéliennes sur Gaza, ont plongé la région dans une crise humanitaire. » Qui n’a fait que s’aggraver depuis. Aujourd’hui, 47 % de la population active est au chômage et les habitants de la bande n’ont que 4 heures d’électricité par jour ; les fonctionnaires voient leur salaire constamment amputé par l’autorité basée en Cisjordanie ; les stations d’épuration d’eau fonctionnent au ralenti et la pollution s’installe sur les plages gazaouies.
« Souffrance pour tous »
C’est dans ce contexte d’affrontements épars entre le Hamas, dont la population est aux abois, et Israël, qu’est intervenu le rapprochement entre les deux mouvements palestiniens en octobre dernier. Qui devaient se rencontrer aujourd’hui, au Caire, pour discuter sous l’égide de l’Egypte de la formation d’un gouvernement d’union nationale et de la question israélienne. Car le Fatah et le Hamas, à ce sujet, restent campés sur leurs positions, le second refusant toujours de reconnaître l’existence d’Israël. Le 31 octobre dernier, l’Etat hébreu a d’ailleurs détruit un tunnel creusé depuis la bande de Gaza, faisant douze morts, sans rencontrer de représailles en retour. Signe que l’AP a bien repris la main sur le territoire ?
Hier, le coordinateur spécial des Nations unies pour le processus de paix au Proche-Orient, Nikolaï Mladenov, a en tout cas averti : « On ne peut se permettre un échec […] Que ce conflit soit déclenché par un effondrement de l’ordre et de la loi à Gaza, par les actions irresponsables d’extrémistes ou par un choix stratégie, le résultat sera identique : la dévastation et la souffrance pour tous. »

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