L’opération « Bouclier du Nord » ou une potentielle escalade régionale ?

Le moment choisi par Israël pour lancer l’opération militaire contre le Hezbollah a suscité de nombreuses interrogations.

Le 4 décembre dernier, les forces de défense israéliennes (FDI, ou Tsahal) ont annoncé le lancement de l’opération « Bouclier du Nord », destinée à exposer et détruire les tunnels souterrains creusés par le Hezbollah du sud libanais vers le territoire israélien. Ceci après que le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a effectué un voyage de dernière minute à Bruxelles (Belgique), afin de rencontrer le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, avec lequel il a discuté « des moyens de mettre fin à l’agression iranienne dans la région », y compris au Liban.

Le chef du gouvernement israélien de demander à celui-ci de transmettre un message au gouvernement libanais, leur indiquant que si Beyrouth ne stoppait pas l’armement du Hezbollah, Israël agirait. Du côté libanais de la frontière, l’armée a renforcé ses positions et a déclaré surveiller les activités des FDI. La mission d’observation des Nations unies (UNFIL) ayant quant à elle appelé toutes les parties à rester prudentes et déployé des observateurs supplémentaires.

En réponse à cette opération, Hassan Hoballah, membre du bureau politique du Hezbollah chargé du dossier palestinien, a déclaré : « Le Hezbollah surveille les mouvements israéliens sur tous les fronts. Nous sommes une chaîne intégrée et nous ne pouvons pas séparer Gaza du Liban. Notre ennemi est le même quel que soit le nombre de fronts impliqués. Nous ne laisserons pas un seul front faire face à Israël ». De son côté, le porte-parole du Jihad islamique palestinien (JIP), Musab al-Barim, a précisé que « la résistance palestinienne prend très au sérieux la situation à la frontière libanaise. Elle examine attentivement sa position stratégique et n’abandonnera pas son rôle sur le terrain ».

Détourner l’opinion publique

L’opération, bien planifiée par les FDI, et le fait que les services de renseignements israéliens connaissent l’existence de tunnels depuis des mois, voire des années, suggèrent que celle-ci a été motivée, principalement, par un agenda interne israélien, à un moment où Netanyahu fait face à de nouvelles accusations de corruption et des critiques sur sa politique à Gaza, à la suite de la démission de son ministre de la Défense, Avigdor Lieberman. Le moment choisi pour lancer le « Bouclier du Nord » a d’ailleurs suscité de nombreuses interrogations. D’autant plus qu’il est avéré que Tsahal connaît depuis longtemps les tunnels transfrontaliers du Hezbollah, comme l’a confirmé un haut responsable militaire israélien à la presse, indiquant que l’armée israélienne connaissait parfaitement le projet du Hezbollah et chacun de ses tunnels.

Par ailleurs, le nom de code, « Bouclier du Nord », donne l’impression d’une opération défensive d’une importance primordiale, ce qui est tout sauf évident : lesdits tunnels étaient surveillés par les services Israéliens depuis longtemps… À cela s’ajoute un cirque médiatique jamais vu, à la frontière nord d’Israël, depuis la Seconde guerre du Liban (2006). Une atmosphère de guerre – des tunnels d’attaque, une opération d’urgence, un appel de réserves, la convocation du cabinet de sécurité – créée de toute pièce puis vendue par Benjamin Netanyahu au cours d’une émission spéciale diffusée aux heures de grande écoute. Sans doute pour détourner l’opinion publique des multiples accusations auxquelles le Premier ministre pourrait faire face devant les tribunaux…

Nouveau front à Gaza

Jouer une telle carte pourrait cependant être extrêmement préjudiciable, ceci pour toute la région, si l’on considère la potentielle chaine de réaction qu’une escarmouche ou une intrusion israélienne en territoire libanais pourrait entrainer. Bien que le Hezbollah se soit abstenu de réagir de manière excessive à l’opération israélienne, le parti serait certainement obligé d’intervenir si les FDI entraient sur le territoire libanais. Ce qui pourrait éventuellement mener à une invasion totale du Liban par Israël, un plan sur lequel l’armée israélienne travaille depuis la guerre de 2006. Le Premier ministre israélien a d’ores et déjà averti que si le mouvement chiite réagissait en « provoquant un autre conflit », le Liban subirait alors une « défaite dévastatrice ».

Un scénario qui profiterait in fine au Hezbollah, et cela de deux manières : la société libanaise serait totalement affaiblie et aurait sans doute autre chose à critiquer que l’agenda du Hezbollah, qu’elle rejette globalement ; ce qui, dans un second temps, corroborerait le discours du parti sur la nécessité de donner la priorité à la résistance. A moyen terme, les factions palestiniennes pourraient être tentées de réagir, ouvrant un nouveau front à Gaza et potentiellement en Cisjordanie. De quoi conduire, en théorie, l’Iran à appeler le Hamas et le JIP à « riposter » à une attaque israélienne contre le Hezbollah et le Liban.

« Un choix irrationnel »

Cette hypothèse catastrophiste a suscité une certaine activité diplomatique, le chef des services de renseignement américains arrivant le 5 décembre en Egypte pour une visite imprévue. Avec au programme une rencontre avec le président Al-Sissi et le chef des services de renseignement égyptiens, le général Kamal Abbas, ainsi que le général Abd al-Halik, responsable du dossier de Gaza pour le renseignement égyptien. Le sujet de la réunion était vraisemblablement de persuader le Hamas et le JIP de ne pas tirer de roquettes sur Israël en cas d’hostilités entre Israël, le Hezbollah et l’Iran à la frontière sud du Liban. Selon les mêmes sources, Israël aurait transmis au Hamas un message bref lui indiquant que, si lui-même ou le Jihad islamique développaient un second front contre Israël alors qu’ils traitaient avec le Hezbollah et l’Iran, Israël retirerait les gants et frapperait ces organisations plus profondément que jamais auparavant.

S’il est regrettable que le Premier ministre Israélien exploite une telle situation dans le but de couvrir sa situation personnelle et politique, le niveau de dissuasion aux frontières ainsi que l’étendue potentielle de la confrontation entre l’Iran et ses alliés, d’un côté, et Israël de l’autre, rendent improbable une guerre future. Ceci étant principalement dû au fait qu’un tel affrontement attirerait certainement d’autres parties, ce qui pourrait en faire un affrontement régional que personne ne voudrait voir.

Comme l’a récemment déclaré Hosam Matar, auteur de The soft power war between the US and Hezbollah, toutes les parties reconnaissent le prix énorme d’une éventuelle guerre dans la région. « Les conséquences d’une telle guerre ne peuvent être comparées à aucune guerre antérieure. Cela fait du choix de la guerre, avec l’incertitude d’une victoire décisive ou claire, un choix irrationnel. »

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