Inégalités mondiales : Oxfam invite les gouvernements à se réveiller

|
22.01.2019

« Le néolibéralisme aurait dû être discrédité depuis 2007-2008 », estime la directrice générale d’Oxfam International.

Alors que doit débuter, mardi 22 janvier, le traditionnel Forum de Davos, grand raout de l’économie mondiale, Oxfam vient de publier son rapport annuel sur les inégalités. Emaillé, comme souvent, de quelques chiffres vertigineux. Ainsi, en 2018, selon l’organisation, 26 personnes possèdent ainsi autant de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité ; 1 % de la fortune de Jeff Bezos, le patron d’Amazon et personne la plus riche du monde, équivaut au budget santé de l’Ethiopie et de ses quelque 105 millions d’habitants ; les « super-riches », d’ailleurs, dissimulant au moins 7 600 milliards de dollars aux autorités fiscales, soit un manque à gagner, en termes d’impôts, estimé à 200 milliards de dollars.

Selon Oxfam, tandis que les courbes de l’impôt sur le revenu, sur les successions et sur les sociétés ont diminué jusqu’en 2010, seules les deux premières sont reparties à la hausse il y a une dizaine d’années. Les taxes sur les entreprises, au niveau mondial, poursuivant actuellement leur tendance baissière. Ce qui explique le creusement des inégalités entre population extrêmement riche et moins aisée. « Depuis la crise de 2008, le poids de la fiscalité a été transféré des entreprises vers les ménages, l’augmentation nette des recettes fiscales est attribuable aux impôts sur les salaires et aux taxes sur la consommation comme la TVA [taxe sur la valeur ajoutée, ndlr] », renseigne effectivement l’organisation.

Procès du néolibéralisme

Dont le rapport, globalement, fait (à juste titre) le procès du néolibéralisme et du capitalisme irraisonné. « Le néolibéralisme nous accompagne depuis près de quarante ans. [Il] aurait dû être discrédité depuis 2007-2008, mais il tient toujours lieu de référence pour l’élite politique et écono­mique, explique Winnie Byanyima, la ­directrice générale d’Oxfam International. Pour Oxfam, cela illustre un manque d’imagination criant des leaders politiques actuels, une incapacité à concevoir un autre modèle économique alternatif au néolibéralisme pourtant défaillant. » Car celui-ci entraine des situations aussi ubuesques qu’inquiétantes, où la pauvreté se conjugue parfois au genre et à la couleur de peau.

D’après une étude menée en milieu rural en Egypte, 30 % des femmes considèrent les longues distances et les temps d’attente importants comme étant une barrière à l’utilisation des services de santé. Ce qui illustre, selon Oxfam, l’importance des investissements et de la construction d’hôpitaux publics gratuits et de qualité à proximité des lieux de résidence et de travail des femmes.

En Tunisie, d’après le rapport d’Oxfam, 81 % des enfants de 3 à 4 ans issus des 20 % des foyers les plus riches ont bénéficié, en 2011-2012, d’une éducation préscolaire, contre seulement 13 % des enfants du même âge issus des 20 % des foyers les plus pauvres. Dans le domaine de la santé, si les femmes effectuent en moyenne plus de travail de soin non rémunéré que les hommes, la situation s’aggrave chez les femmes défavorisées. « Les femmes plus pauvres sont moins susceptibles d’avoir accès à de l’eau courante propre et aux services publics pour la santé et la garde d’enfants », interpelle Oxfam. Ce qui crée d’inévitables cercles vicieux, puisque « le travail de soin non rémunéré amplifie les inégalités économiques ».

« Réduction de la pauvreté »

Pour enrayer la hausse de la courbe des inégalités planétaires, selon Winnie Byanyima, « les gouvernements doivent faire en sorte que les plus nantis participent plus activement à la justice fiscale afin de mieux s’attaquer à la réduction de la pauvreté. [Alors qu’aujourd’hui ils] sous-taxent les plus fortunés quand, dans le même temps, les services publics cruciaux, comme la santé ou l’éducation, s’effondrent faute de financement, affectant en premier lieu les femmes et les filles. » Pourtant, apprend-t-on dans le rapport d’Oxfam, « lorsque les services fournis publiquement sont conçus pour fonctionner, l’ampleur et la rapidité de leur impact sur la réduction de la pauvreté sont imbattables ».

« Mon message s’adresse aux fraudeurs fiscaux. Si eux ne paient pas d’impôts, comment le secteur public pourra-t-il fonctionner ? Qui paiera pour celles et ceux qui sont plus pauvres ? S’ils ont de l’argent pour aller dans des cliniques privées et consulter des médecins privés en disant que les services du secteur public sont mauvais, c’est parce qu’ils ont contribué à le ruiner. » Dr Dorra Bousnina Lassoued, responsable du service de médecine préventive et sociale et coordinatrice nationale de la santé maternelle, infantile et des adolescents au ministère tunisien de la Santé depuis mars 2015.

Par exemple, selon la Banque mondiale, le développement de l’éducation publique a été largement plus rapide dans de nombreux pays en développement que dans l’histoire des pays riches d’aujourd’hui. « Aux Etats-Unis, il a fallu 40 ans pour que la scolarisation des filles passe de 57 % à 88 % en 1910. Il aura suffi de 11 ans au Maroc pour en faire de même. » Ce qui pousse Oxfam à reconnaitre : « Lorsque des changements politiques favorables aux pauvres sont apportés aux systèmes publics d’éducation, l’impact se ressent à l’échelle de tout le pays. » Autrement dit : les gouvernements – ceux qui sont réunis à Davos à partir de mardi notamment – ont intérêt à s’intéresser pour de bon aux franges les plus pauvres de leur population. Et revoir les termes de leur lune de miel avec les grands représentants de la richesse mondiale.

Partages