La France, à la fois complice et victime du chaos libyen ?

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22.04.2019

Critiquée pour ses accointances avec le maréchal Haftar, Paris ne cesse de réaffirmer son soutien à la solution politique en Libye.

On savait déjà que la France avait une grande part de responsabilité dans la situation actuelle en Libye. Tout comme l’on subodorait fortement que l’intervention militaire française qui précéda le chaos, en 2011, relevait davantage de la « guerre privée » que du « conflit d’intérêt général » – ne fallait-il pas masquer les traces du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 ? Huit ans plus tard, alors que le pays menace de sombrer dans la guerre civile, la France est-elle de nouveau aux avant-postes ?

Cette question revient de plus en plus, ces derniers jours, tandis que l’offensive déclenchée par l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar, le 4 avril dernier, progresse sur Tripoli, la capitale. Dès le lendemain, d’ailleurs, Paris était sous le feu des critiques, islamistes et opposants à « l’homme fort de l’est libyen » reprochant à la diplomatie française de favoriser ce dernier sur le terrain. Ce qui avait valu à l’ambassadrice de France en Libye, Béatrice Le Fraper du Hellen, d’être convoquée quelques heures plus tard par le Premier ministre libyen, Fayez el-Sarraj.

« Plan caché »

Le 11 avril dernier, le quotidien de centre-gauche italien La Repubblica émettait à son tour des soupçons sur une éventuelle entente entre le Quai d’Orsay et le maréchal Haftar. Motif : le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, se serait opposé à un projet de déclaration commune européenne sur la Libye, sous prétexte que le texte mentionnait la responsabilité du militaire libyen dans le conflit. « Une manœuvre politique qui révèle parfaitement le soutien de Paris à l’offensive de Khalifa Haftar contre Tripoli », écrivait le journal transalpin.

S’il convient de mentionner les tensions qui existent bel et bien entre Paris et Rome dans le dossier libyen, ces suspicions concernant la France ont fini par abreuver les discours de certains manifestants locaux. Qui, réunis mardi 16 avril à Tripoli, ont appelé la diplomatie française à « cesser de soutenir le rebelle Haftar en Libye », comme le rapporte le média Middle East Eye. Sur leurs pancartes, par exemple, était inscrit : « La France fournit des armes aux rebelles pour le pétrole », validant l’hypothèse émise par certains selon laquelle Paris aurait un « plan caché » en Libye. Ce qu’elle a toujours nié.

Intérêts géostratégiques

Jeudi dernier, la président française a tenu à redire que « la France soutient le gouvernement légitime du Premier ministre Fayez el-Sarraj et la médiation de l’ONU pour une solution politique inclusive en Libye ». Ceci après que le ministère de l’Intérieur du gouvernement d’union nationale (GNA) libyen, reconnu à l’international, avait accusé l’hexagone de soutenir les force du maréchal Haftar. Dans un communiqué, Fathi Bach Agha avait même ordonné « la suspension de tout lien entre [son] ministère et la partie française dans le cadre des accords sécuritaires bilatéraux », en raison de ces liens potentiels.

Une chose est sûre : si la France a pu considérer comme « attristantes » ces déclarations, elle n’en possède pas moins des hommes dans la région. Ne serait-ce qu’au Tchad, pays voisin de la Libye, où elle a récemment conduit une opération « en coordination avec l’armée tchadienne », selon l’Etat-Major des Armées. De là à valider la thèse d’un « plan caché », il n’y a qu’un pas, qu’il est hasardeux de franchir. N’oublions pas que la Libye, en proie au chaos, est, de la même manière que la Syrie, un territoire où s’affrontent de nombreux intérêts géostratégiques. Ce qui n’empêche pas le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, de considérer le maréchal Haftar comme incontournable sur le terrain.

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