Moscou est prête à tout pour défendre Damas, que beaucoup estiment responsable des attaques chimiques répétées.
La semaine dernière, Moscou a fait parvenir à ses partenaires du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) un projet de résolution dénonçant la « politisation continue du travail » de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), qui a mis sur pied une équipe d’enquêteurs chargés de faire la lumière sur les attaques chimiques en Syrie. L’institution, chargée de veiller à l’application de la Convention internationale sur les armes chimiques, outrepasserait ses prérogatives, selon le Kremlin, qui avance que seul le Conseil de sécurité peut sanctionner les pays qui n’observeraient pas la Convention.
Fragiliser le régime syrien
En mars dernier, l’OIAC annonçait que l’Equipe d’enquête et d’identification (IIT) dont il est question serait « pleinement opérationnelle dans les prochaines semaines ». Et pourrait ainsi commencer à enquêter sur les attaques chimiques perpétrées en Syrie, comme celle de Douma (banlieue de Damas) en 2018 (40 morts environ), ou celle de Khan Cheikhoun (Idlib) en 2017 (plus de 100 morts). Si les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France ont souvent affirmé avoir des preuves que le régime de Bachar al-Assad a utilisé des armes chimiques (du gaz sarin notamment) à plusieurs reprises, depuis 2012, Damas a toujours réfuté utiliser un tel arsenal contre sa population.
Moscou, alliée du régime syrien, avait d’ailleurs posé son veto, fin 2017, au renouvellement de la mission du Mécanisme d’enquête conjoint de l’OIAC et de l’ONU (JIM). Quelques jours avant, en octobre 2017, celui-ci rendait un rapport concluant à la responsabilité de Damas dans l’attaque au gaz sarin à Khan Cheikhoun, le 4 avril précédent. Il ne fait plus aucun doute que la Russie, bien que prétextant une « politisation » du travail de l’OIAC, estime que ses investigations sur les attaques chimiques sont de nature à fragiliser le régime syrien. Raison pour laquelle elle a souhaité y mettre fin.
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Y a-t-il désormais une chance pour que le projet de résolution déposé par Moscou soit adopté ? Pas vraiment. Si le texte est soutenu par la Chine, il doit recueillir 9 voix sur les 15 du Conseil, sans que l’un des membres permanents (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Chine, Russie) n’utilise son droit de veto. Ce qui est peu probable, puisque Washington, surtout depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, s’est toujours opposé à Vladimir Poutine sur le dossier syrien.
« Propagande dégueulasse »
Louis Charbonneau, un responsable de l’ONG Human Rights Watch cité par L’Orient-Le-Jour, d’estimer que le projet de résolution russe « ressemble à une tentative désespérée d’éviter une confirmation que le gouvernement syrien, comme le groupe Etat islamique, a utilisé à plusieurs reprises des armes chimiques en violation du droit international ». Une posture « jusqu’au-boutiste », en quelque sorte, qui pourrait pousser le Kremlin à jouer avec la vérité ? Possible, selon lui.
Le 20 mai dernier, il affirmait sur Twitter : « A nouveau, le média d’Etat russe @tassagency_en avertit sans citer de preuve que des mises en scène sur des attaques chimiques en Syrie sont en train d’être préparées. Soyons TRES méfiants. Une grande majorité des attaques à l’arme chimique en Syrie ont été conduites par le gouvernement (et le groupe Etat islamique pour quelques unes ».
Pourtant, le lendemain, mardi 21 mai, RT France avançait de « nouveaux éléments » propres à remettre en question les conclusions de l’OIAC concernant l’attaque chimique à Douma. « La fuite d’une note attribuée à des ingénieurs de l’OIAC sur l’attaque chimique présumée survenue en avril 2018 à Douma en Syrie, non retenue dans le rapport final de l’organisation, soulève des questions. L’OIAC n’a pas démenti son authenticité », faisait ainsi savoir le média pro-Kremlin, qui publiait à l’appui de ses dires un document, censé représenter une note confidentielle de l’OIAC datée de février 2019.
« L’organisme ayant révélé [ce] document est le Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias. Composé en majorité de personnalités du monde universitaire, cet organisme assure n’avoir aucun conflit d’intérêt avec un pays ou encore une organisation non gouvernementale », renseigne RT France.
S’il est difficile de démêler le vrai du faux, dans le dossier des attaques chimiques en Syrie, une chose est sûre : le « storytelling » et la falsification des faits y ont toute leur place. Certains acteurs du conflit, comme Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, ont estimé, récemment – pour protéger Bachar al-Assad -, que l’attaque au gaz sarin à Douma avait été mise en scène par les Casques blancs – des secouristes syriens. Pour Marie Peltier, historienne et spécialiste de la propagande assadienne, de tels propos ne sont même plus de l’ordre de « l’ignorance. C’est une adhésion idéologique à une propagande dégueulasse ». La même « propagande » que celle consistant à dénoncer la « politisation continue du travail » de l’OIAC ?
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