Le prince héritier et le journaliste, détenu depuis six ans en Arabie saoudite, dénoncent tous deux le rigorisme qui imprègne le royaume.
6 ans et une poignée de jours. C’est le temps que Raïf Badawi, l’une des grandes figures de la lutte pour les droits humains, en Arabie saoudite, a passé en prison jusqu’à présent. Le 17 juin 2012, il est âgé de 28 ans lorsque la police vient l’arrêter pour l’incarcérer à Djeddah. Les motifs qu’elle avance alors, « désobéissance à son père, cybercriminalité et apostasie », semblent bien éloignés des vrais raisons de son arrestation : la création et l’animation d’un blog, Free Saudi Liberals (« Libérez les libéraux saoudiens »), notamment, où il prêchait la tolérance religieuse et évoquait la nécessaire évolution des consciences saoudiennes vers plus de liberté.
Indignation
Raïf Badawi, devenu depuis une icône à travers le globe – il s’est vu remettre en 2015 le prix Sakharov par le Parlement européen, qui récompense les personnes consacrant leur vie à la lutte pour les droits humains et les libertés fondamentales -, avait quelques prédispositions pour titiller la face rigoriste et traditionnelle de son pays. « Il est clair que ses activités journalistiques l’ont sans doute amené à entrer assez vite en contact avec les petits réseaux de militants civiques qui, même dans un Etat aussi conformiste et répressif que l’Arabie saoudite, essaient de promouvoir une pensée à la fois critique et constructive sur la situation et l’avenir de leur pays » note Clarence Rodriguez dans son ouvrage Arabie saoudite 3.0.
Lire aussi : Arabie saoudite : deux agents du Mossad jugés pour espionnage
La journaliste française, l’une des rares occidentales présentes dans le royaume, écrit également que « dans un premier temps, il risquait carrément la peine de mort pour l’accusation d’apostasie (le reniement de sa foi), le crime le plus grave que puisse commettre un musulman aux yeux de la charia ». Finalement, ce seront 10 ans d’emprisonnement, un million de riyals (232 000 euros) d’amende, une interdiction de quitter le pays pendant dix ans à sa sortie de prison et mille coups de fouet – par vingt tranches de cinquante. Dont les premiers lui ont été donnés le 9 janvier 2015, provoquant un immense élan d’indignation, à l’étranger mais également en Arabie saoudite.
Ensemble sclérosé
Depuis, selon Clarence Rodriguez, « plus de deux ans se sont écoulés sans que la situation ait évolué d’un seul pouce. La Cour suprême n’a toujours pas réexaminé le dossier. Les espoirs de grâce royale se sont évanouis les uns après les autres. » Même son de cloche chez Ensaf Haïdar, sa femme, réfugiée au Canada avec leurs trois enfants. « Chaque année, il y a un renouveau, un espoir, mais chaque année cet espoir s’estompe. Je pense que même mon mari a l’espoir en lui. Clairement, son état mental est au plus bas : cela fait plus d’un mois qu’il ne m’a pas appelée. Je le connais, quand il n’appelle pas, c’est qu’il se sent très mal » affirmait-elle à Paris Match il y a quelques jours.
L’espoir pourrait-il venir du prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (dit « MBS ») ? Le fils de l’actuel monarque, le roi Salman, qui a quasiment le même âge que Raïf Badawi (33 ans), porte le même regard critique que ce dernier sur le royaume : un ensemble sclérosé de clans et de traditions – religieuses notamment – qu’il convient de faire évoluer. Et pour ce faire, MBS n’hésite pas à remettre en cause la toute-puissance du clergé wahhabite (islam rigoriste) et multiplie les avancées sociétales et économiques – même si de nombreuses inégalités, entre femmes et hommes surtout, demeurent. Peut-être faut-il miser sur cette volonté princière d’ouverture pour espérer une avancée positive dans le dossier Raïf Badawi…
Lire aussi : Arabie saoudite : Riyad congédie le chef de l’Autorité du divertissement
Etudiant en master de journalisme, Bertrand Faure se destine à la presse écrite. Passionné de relations internationales, il nourrit un tropisme particulier pour le Maghreb et la région MENA, où il a effectué de nombreux voyages.