En Égypte, le cinéma à l’assaut du terrorisme

« El Ekhteyar rappelle la mobilisation patriotique de toute une nation, profondément reconnaissante du sacrifice de ses soldats. »

À l’occasion du mois festif de Ramadan, les Égyptiens auront pu suivre cette année, encore plus « confinés » que de coutume et parmi les traditionnels feuilletons télévisés de la période, une série d’un genre inédit : El Ekhteyar (Le Choix), écrit par Baher Dewidar et réalisé par Peter Mimi, met en scène les opérations militaires des forces spéciales et services de renseignement dans la lutte contre les terroristes takfiristes du Sinaï. Une épopée néoréaliste ambitieuse qui aura séduit de très nombreux téléspectateurs plutôt habitués aux sagas familiales et romantiques…

La série à succès, qui compte à ce jour 30 épisodes de 45 minutes chacun — une seconde saison ayant été annoncée pour 2021 —, joue sur la dualité du personnage de Ahmed el-Mansy (joué par le charismatique Amir Karara), colonel à la tête du commando des Forces Sa‘ka, tué à 38 ans lors de l’attentat à la voiture piégée du 7 juillet 2017 à Rafah ; et du personnage de Hesham Ashmawy (interprété par l’acteur Ahmed el-Awady), traître à la nation et ancien officier dévoyé à l’origine de l’attaque terroriste ayant causé la mort du premier.

Affiche de la série « El Ekhteyar ».El Ekhteyar rappelle, au-delà d’un engagement de la première heure du gouvernement face à la menace extrémiste, la mobilisation patriotique de toute une nation unie autour d’une certaine culture militaire, profondément reconnaissante du sacrifice quotidien de ses soldats, premiers protecteurs et premiers martyrs dans la lutte contre le terrorisme islamiste qui gangrène la région.

Il semblerait même que le message cinématographique ait quelque peu atteint la susceptibilité des barbus retranchés du Nord-Sinaï, qui en plein mois sacré de Ramadan n’auront pas hésité à répliquer par une attaque à l’engin explosif, le 30 avril dernier, dans la ville de Bir el-Abd, visant un véhicule blindé de l’armée et blessant ainsi plusieurs officiers égyptiens.

La série pose également la délicate question du financement des groupes terroristes affiliés à Daech, notamment autour des connexions des takfiristes du Sinaï avec la nébuleuse des Frères Musulmans, qui n’auront pas manqué de manifester leur aigreur sur la toile, via un bataillon digital de « trolls », en réaction à la diffusion de certains épisodes accablants.

L’émotion suscitée par El Ekhteyar révèle également que la lutte protéiforme menée par toutes les forces vives du pays contre le terrorisme, trouve dans le média et la culture un champ d’action privilégié : celle-ci étant avant tout une guerre de l’information. Avec l’étendue vertigineuse de la cybercommunication et le soutien continu et insidieux de certains médias arabes aux fondamentalistes religieux, la production artistique devrait ainsi jouer un rôle déterminant dans l’éducation à l’esprit critique face à la violence organisée autant que dans la réconciliation spirituelle et nationale.

Alors que le média occidental s’obstine à vouloir associer tout régime militaire à une forme d’autoritarisme nécessairement condamnable, la diffusion internationale de la série, récemment traduite en anglais et en français, dont la facture et l’écriture n’ont rien à envier à celles des grandes productions américaines, serait peut-être le moyen de faire enfin admettre aux journalistes les plus bornés — qui semblent ignorer que tout l’art de la guerre consiste à savoir éviter précisément la guerre — que l’institution martiale, loin d’être une abominable machine destructrice et assassine, puisse constituer une organisation politique et logistique forte, composée de stratèges et d’hommes de terrain mobilisés avant tout en faveur du maintien de la paix sociale.

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Au-delà du dilemme grossièrement manichéen des forces du bien contre celles du mal, El Ekhteyar s’affranchit de toute maladresse propagandiste et propose une vision à la fois exigeante et populaire de la question centrale du terrorisme islamiste en Égypte, apportant aux téléspectateurs de tous âges une expérience bienvenue de catharsis cinématographique en vue de répondre habilement à la menace diffuse du mouvement criminel dans la région, et d’illustrer par là même plus largement la mobilisation armée du régime pour l’enrayer.

Dans la lignée du docu-fiction politique ou du thriller de guerre, et plus généralement dans la tradition du grand cinéma égyptien, dont la qualité et la diversité historiques gagneraient par ailleurs à s’exporter davantage au-delà du monde arabe, la série réussit le pari osé et nécessaire, par le biais artistique, d’une certaine démocratisation de l’épineuse question des activités militaires dans le désert égyptien, jusque-là très peu relayées à l’écran. Elle nous montre également comment le dogme et le fanatisme religieux corrompent les hommes et les mènent tragiquement à leur perte.

Tout dépend de ce que l’on entend offrir comme symbole d’engagement aux jeunes générations en quête de modèles de vertu et d’action : le communautarisme agressif et pathologique des plus capricieux et des moins productifs, ou le courage anonyme de soldats défendant corps et âme, à l’image du rayonnant Ahmed el-Mansy, les enfants fédérés de la patrie de toute dégénérescence extrémiste ?

Bande-annonce 1

Bande-annonce 2

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