Le pays, traversé par des vagues inédites de manifestations anti-pouvoir, a glané sa 2ème Coupe d’Afrique des nations.
« Une finale, ça ne se joue pas, ça se gagne ». L’équipe d’Algérie, qui disputait vendredi 19 juillet le titre de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) contre le Sénégal, a appliqué à la lettre ce commandement rabâché par tout entraîneur de football qui se respecte. Au terme d’un match un brin soporifique, il faut l’avouer – le seul but du match fut inscrit à la 2ème minute sur une frappe détournée… -, les « Fennecs » ont réussi à empocher un deuxième trophée continental, 29 ans après leur premier sacre, en 1990. Et c’est bien ce dénouement que les Algériens ont décidé de retenir, plutôt que le contenu du match.
« Exploit »
« L’Algérie sur le toit de l’Afrique du football 29 ans après », titrait par exemple le quotidien algérien El Watan, qui a retenu l’ « engagement » et « la poigne » du « commando de Djamel Belmadi », le sélectionneur algérien arrivé en août 2018 pour succéder à la légende nationale Rabah Madjer. A l’époque, personne (ou presque) ne misait un kopeck sur ce « choix par défaut » ; aujourd’hui, le tacticien est acclamé en héros par tout un pays. « Le football est important pour nous. C’est le sport numéro 1, il est vecteur d’énormément de choses, cela nous réunit tous », avait expliqué Djamel Belmadi avant la demi-finale face au Nigéria.
TSA, de son côté, a souligné « l’exploit » réalisé par l’équipe nationale, qui « a écrit vendredi soir l’une des plus belles pages de l’histoire du football algérien ». Même si, « dès le début de la compétition, les coéquipiers du capitaine Riyad Mahrez avaient d’emblée affiché leur ambition d’aller jusqu’au bout », précise le quotidien algérien. « Sur le plan du jeu, l’équipe nationale a retrouvé son identité, parvenant à dominer ses adversaires », poursuit TSA. Grâce, notamment, à la tactique « guardiolesque » mise en place par le sélectionneur (jeu rapide, passes courtes, solidarité), sans oublier la justesse technique de joueurs-clés comme le milieu de terrain Ismaël Bennacer, désigné meilleur joueur de la compétition.
« Système »
Aux côtés de Riyad Mahrez et Sofiane Feghouli, le jeune milieu de terrain (21 ans) représente l’avenir d’une sélection, qui aura désormais à cœur de se qualifier pour le Mondial 2022 au Qatar, après avoir loupé l’édition russe de 2018. En attendant, les Fennecs savourent cette victoire, que beaucoup d’entre eux ont dédiée au peuple algérien. S’il est de coutume, chez les sportifs – peut-être plus encore chez les footballeurs -, d’ « offrir » un trophée glané à ses compatriotes, les multiples évocations du « peuple », dans la bouche des joueurs et entraîneurs, avaient ici une saveur particulière.
Le jour de la finale, à quelques milliers de kilomètres du Caire, les Algériens étaient dans la rue, par dizaines de milliers, pour le 22ème vendredi consécutif du Hirak, ce mouvement populaire débuté le 22 février dernier pour réclamer, dans un premier temps, le départ d’Abdelaziz Bouteflika, et dans un second temps, la fin du « système » qui gouverne le pays. En d’autres termes : plus de libertés (de choix) ; une démocratie saine. Cette fois-ci, les protestations, c’est un euphémisme, ont eu une saveur particulière. Puisque pendant un temps suspendu, au coup de sifflet final, à la révolte brandie des heures durant par ce peuple épris de justice, se sont mêlées la joie, la fierté et l’excitation de ces mêmes individus « amoureux du maillot ».
« Miracles »
Il y a fort à parier que le vendredi 19 juillet 2019 restera longtemps gravé dans les mémoires algériennes. La victoire des Fennecs peut-elle, d’ailleurs, influencer le cours de la révolte populaire, d’ailleurs ? « La Coupe d’Afrique des nations a redonné la joie de la victoire au peuple, lui qui a soif de victoire et de bonheur, a affirmé le politologue Toufik Bougaada à TSA. Je pense que cette victoire va donner plus d’envergure au mouvement populaire, et les joies de vendredi soir en étaient un parfait indicateur, que ce soit par la présence massive des jeunes ou bien par les slogans scandés. » Lorsque la volonté d’un individu se libère, « il est capable de réaliser des miracles », a-t-il dit par ailleurs, prenant l’exemple de Djamel Belmadi, « une parfaite illustration ».
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De la à dire que le sélectionneur de l’Algérie prendra les rênes du pays d’ici quelque temps, il n’y a qu’un pas. Que l’on ne franchit toutefois qu’au milieu de ces rêves éveillés, où la réalité n’a plus vraiment cours. Il n’empêche, au passage du bus de la triomphante sélection algérienne, samedi dernier à Alger, toujours ce même enchevêtrement de sport et de politique ; de joie et de haine ; de rêve et d’éveil. « Nihou Bensalah, dirou Belmadi » (« Enlevez Bensalah [chef d’Etat par intérim depuis le 9 avril, ndlr] et mettez Belmadi »), scandaient certains. Qui devaient sans doute avoir à l’esprit qu’ « une révolution ne se joue pas, elle se gagne ».
