En Egypte, la « guerre contre le terrorisme » a cinq ans

Plus de 27 000 personnes auraient été arrêtées dans le cadre d’opérations antiterroristes en 5 ans selon le TIMEP.

En Egypte, on le sait, le terrorisme a bon dos. Afin de museler l’opposition et éteindre les voix qui dérangent, le régime d’Abdel Fattah al-Sissi n’hésite pas à charger de simples manifestants ou blogueurs d’actes terroristes. Raison pour laquelle, aujourd’hui, « des centaines de militants politiques, de journalistes, de défenseurs des droits humains, d’opposants, d’artistes et de fans de football sont actuellement derrière les barreaux pour avoir osé s’exprimer » explique Amnesty International France dans un billet posté jeudi dernier. L’ONG d’informer que, depuis décembre 2017, elle a recensé au moins 111 cas de personnes détenues par l’Agence de sécurité nationale pour avoir critiqué le président et la situation des droits humains en Egypte. « Un pays qui se transforme en prison à ciel ouvert » selon l’organisation.

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S’il est « actuellement plus dangereux que jamais dans l’histoire récente de l’Egypte de critiquer le gouvernement », c’est que ce dernier, sous couvert de lutte contre le terrorisme, s’est attribué des droits exorbitants. Dont il use et abuse. Selon Reporters sans frontières (RSF), qui n’a pas manqué d’égratigner Le Caire, en avril dernier, au moment de la publication de son traditionnel classement mondial de la liberté de la presse, cet « arsenal répressif » est souvent utilisé contre les journalistes ou les médias eux-mêmes. « Bien souvent, il s’agit d’accusations d’appartenance à un groupe terroriste ou de diffusion de fausses informations » d’après l’organisme. « Le pouvoir prend conscience de l’importance de répandre la morale militaire en tant qu’idéologie pour tous les aspects de la vie, en particulier la production médiatique et culturelle » abondait à l’époque Mohamed Adam, journaliste égyptien et cofondateur du pure player indépendant Mada Masr.

« Evolution des menaces »

Réelle volonté pédagogique, de la part des autorités égyptiennes, ou bien glissement vers un Etat répressif – davantage encore que sous l’ère Hosni Moubarak ? Sans doute un peu des deux. L’Egypte est en tout cas confrontée, depuis plusieurs années, à un terrorisme récurrent, pour ne pas dire omniprésent. Des milliers d’opérations de lutte contre de tels actes ont ainsi été rapportés, aussi bien par les médias officiels égyptiens que d’autres médias. Depuis juillet 2013, selon le Tahrir Institue for Middle East Policy (TIMEP), « les ministères ont officiellement fait état de 1 800 opérations de sécurité dans toute l’Egypte, tandis que 1 672 autres opérations ont été signalées dans les médias, avec environ 39 % des interventions signalées dans le nord du Sinaï. » Fin novembre dernier, c’est dans cette vaste région désertique qu’un attentat avait été commis contre la mosquée soufie de Bir al-Abed, où plus de 300 personnes ont perdu la vie.

Le TIMEP, une organisation basée à Washington qui analyse la transition démocratique à l’œuvre dans les pays du Moyen-Orient, a publié cet été un rapport sur les « 5 ans de la lutte antiterroriste égyptienne ». Le 24 juillet 2013, Abdel Fattah al-Sissi, alors ministre de la Défense, déclarait effectivement la « guerre au terrorisme » lors du discours du tafweed (« mandat »). Et, un an plus tard, l’Institut américain, qui nourrissait déjà des craintes sur d’éventuels excès de pouvoir de la part du régime, lançait le projet Egypt Security Watch, afin d’étudier l’adéquation entre l’importance du fait terroriste et les méthodes employées par le gouvernement pour y répondre. Verdict : « Ceux qui gouvernent l’Egypte n’ont pas su adapter leurs tactiques à l’évolution des menaces qui pèsent sur la sécurité, élaborer une politique stratégique à long terme de lutte contre le terrorisme ou mettre en œuvre un programme global de prévention de la radicalisation. »

Paris dans le viseur d’ONG

A la place, des lois nouvelles ou modifiées ont élargi la portée des crimes et des acteurs susceptibles d’être poursuivis pour rétablir la sécurité nationales, renseigne le TIMEP. A l’arrivée, plus de 27 000 personnes auraient été arrêtées dans le cadre d’opérations antiterroristes en 5 ans, avec un pic atteignant jusqu’à 3 000 arrestations rien qu’en mai 2015. Et « environ la moitié d’entre elles ont été décrites comme étant membres des Frères musulmans, organisation classée terroriste en 2013, tandis que 11 500 autres ont été arrêtées sans que les autorités aient reconnu publiquement qu’elles faisaient parti d’une organisation terroriste » selon l’Institut. Pour ces Egyptiens, direction les tribunaux, militaires parfois, pénaux la plupart du temps. Ce qui explique, selon Amnesty International France, que « des centaines de militants et d’opposants [quittent] le pays pour éviter toute arrestation arbitraire. » Les autres, ceux qui restent sur le sol égyptien, « font preuve de courage » indique l’ONG.

Quant aux Etats partenaires du Caire, le TIMEP d’affirmer que « malgré la persistance de l’insécurité et des violations des droits, les acteurs nationaux et internationaux ont continué à soutenir la guerre de l’Egypte contre le terrorisme ». Dans le viseur de l’Institut de Washington : le Parlement égyptien, qui n’a « pas agi comme un frein ou un contrepoids à la domination du politique » ; les pays qui, comme les Etats-Unis ou la France, donnent (indirectement) leur blanc-seing à Abdel Fattah al-Sissi pour qu’il poursuive sa politique répressive. « Depuis 2013, les Etats-Unis se sont engagés à verser près de 4 milliards de dollars en aide à la sécurité, auxquels s’ajoutent près de 5 milliards de dollars d’armes venues du monde entier. » A ce titre, de nombreuses ONG ont pointé du doigt les agissements de Paris, qui a renforcé en 2014 sa coopération sécuritaire et militaire avec Le Caire, alors que divers textes internationaux interdisent les ventes d’armes à des pays susceptibles de bafouer certains droits.

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