Ne laissons pas un nouveau Saddam Hussein s’établir en Arabie saoudite

L’Occident aura-t-il à intervenir en Arabie saoudite comme il l’a fait en Irak dans les années 2000 ?

Les Occidentaux, par un mélange de cupidité et de veulerie, sont en train de laisser s’installer tout doucement l’une des pires dictatures que le monde arabe ait probablement produite depuis la décolonisation. Et qui demeurera notre cauchemar pendant des décennies si l’on n’arrête pas Mohamed ben Salman (dit « MBS »), le prince héritier d’Arabie saoudite, tant qu’il est encore temps. Si l’histoire se souviendra très probablement des nombreux méfaits de l’actuel président américain, Donald Trump, son soutien au prince héritier saoudien sera peut-être l’un des pires.

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Au cœur même du royaume, les princes les plus éminents ainsi que toute l’élite et la partie la plus éclairée de la société saoudienne, aspirent en secret à être libérés de la tyrannie de MBS. Et espèrent que l’Occident contraindra enfin l’actuel roi Salman – le père de Ben Salman – à revoir sa copie. Même si le chemin apparait largement semé d’embûches. En effet, la mainmise de MBS sur tout l’appareil sécuritaire, le barrage qu’il fait à l’accès au roi, la mise à l’écart des instances consultatives des Saoud – la famille régnante -, l’emprisonnement ou la menace d’emprisonnement de princes importants, font que le système ne peut plus fonctionner par consensus, via des facteurs internes d’équilibre comme avant. Pire : l’élimination du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le 2 octobre dernier à Istanbul (Turquie), est la preuve que plus rien, à ce jour, ne peut empêcher le prince héritier saoudien de parvenir à ses fins. 

Exercer son chantage

Sans doute Donald Trump, l’un des puissants alliés de Riyad – et notamment de MBS -, sait-il déjà que le sort du jeune trentenaire ne repose déjà plus sur le Conseil d’allégeance du royaume, chargé de désigner le successeur au trône saoudien, mais bien sur la seule volonté des Etats-Unis. C’est donc lui qui a la clé principale pour débloquer la situation. Malheureusement, les alertes permanentes de la CIA sur le caractère toxique de MBS risquent fort ne pas avoir assez de poids chez le locataire de la Maison-Blanche, qui n’hésite pas à afficher son dédain à l’égard de ses propres services de sécurité.

En attendant, le pouvoir saoudien le sait : il est obligé de se comporter comme les Syriens ou les Nord-Coréens, qui doivent en permanence feindre une ferveur empressée envers leur tyran, au risque de subir les pires conséquences. Quant à MBS, c’est grâce à son prétendu rôle dans la lutte contre le terrorisme et au poids des contrats faramineux qui unissent l’Occident au royaume, qu’il peut jouer de son influence dans ses rapports avec les Occidentaux. Même s’il reste l’espoir que le Congrès américain, malgré les élections de mi-mandat qui approchent, pousse Donald Trump à agir.

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Ce dernier pourrait entraîner dans son sillage Angela Merkel et Emmanuel Macron, qui, s’ils décidaient de hausser le ton après l’affaire Khashoggi et de s’opposer de manière frontale à Riyad pour son intervention extrêmement décriée au Yémen, éviteraient à l’Europe de commettre une nouvelle erreur de taille au Moyen-Orient. A savoir : laisser s’installer un « nouveau Saddam Hussein ». Soit un futur tyran avec cent fois plus de matériel militaire pour détruire, de pétrole pour exercer son chantage, ainsi que d’argent pour s’offrir les silences et quelques compromissions.

Politique hasardeuse et mortifère 

MBS ne manque déjà pas de proximité avec l’ancien dirigeant irakien : avidité de pouvoir, quête obsessionnelle de leadership régional, ingérence dans les affaires de ses voisins, persécution des chiites, chez eux au Bahreïn et au Yémen, etc. En prenant le pouvoir en 1979, le dictateur irakien aspirait non seulement à faire de son pays la première puissance militaire du Moyen-Orient, mais également à devenir le leader du monde arabe. Et, comme le prince héritier aujourd’hui – qui a la main sur la défense et l’économie du royaume -, Saddam Hussein concentrait également tous les pouvoirs en étant chef d’Etat, chef de gouvernement et chef des armées.

Mais ce n’est pas tout : l’invasion du Koweït, en 1990, par un Irak exsangue, s’est faite avant tout au nom d’impératifs financiers majeurs. Or, qu’apprenait-on l’été dernier ? Que l’ancien secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, aurait été débarqué à cause de son opiniâtre volonté d’empêcher une attaque et une invasion du Qatar par l’Arabie saoudite, qui ceinture déjà le petit émirat avec un blocus économique et diplomatique depuis le 5 juin 2017. Une politique d’essoufflement qui a, pour la majorité des observateurs de la région, échoué, Doha ayant réussi à redresser ses comptes. Mais qui n’en constitue pas moins une alerte.

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Si on laisse MBS régner et répandre sa politique hasardeuse et mortifère – au Yémen par exemple – au sein des grands équilibres mondiaux, l’Occident risque fort de devoir se retrouver un jour devant la nécessité de hausser sérieusement le ton envers l’Arabie saoudite. Voire d’intervenir physiquement. Tout comme l’on a envahi l’Irak pour arrêter la course vers l’abîme. Une chose, en attendant, est sûre : les aveuglements et les lâchetés d’aujourd’hui se paieront au centuple demain. Or, vu l’empressement brutal et l’impulsivité de MBS, « demain » ne sera pas dans vingt ans, mais probablement dans quelques années à peine.

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