« Davos du désert » et avis de tempête pour le prince héritier saoudien

MBS pourrait, tout comme la conférence internationale organisée cette semaine à Riyad, pâtir des retombées négatives de l’affaire Khashoggi.

Ce n’est un secret pour personne : l’Arabie saoudite cherche, de manière quasi désespérée, à diversifier son économie depuis quelques années. La chute, en 2014, des cours de l’or noir, principale source de revenus du royaume, a fait prendre conscience aux autorités saoudiennes qu’il fallait développer d’autres secteurs d’activités, comme le tourisme ou les nouvelles technologies, par exemple. Mais également inclure les femmes, « forces de frappe économique » encore trop marginalisées, dans les rouages de l’économie du pays. Raison pour laquelle, d’ailleurs, le prince héritier, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), en fin tacticien, les a autorisées à conduire il y a un peu plus d’un an. Et le fils de l’actuel monarque, le roi Salman, compte sans doute sur la deuxième édition du « Davos du désert » pour présenter au monde ses avancées en matière de diversification économique.

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Organisée du 23 au 25 octobre 2018, la conférence Future Investment Initiative (FII) va rassembler, à Riyad, tout le gotha de la finance internationale. Le but ? « Susciter des débats, discussions et partenariats, menés par des experts, chez les dirigeants les plus visionnaires et influents du monde des affaires, des gouvernements et de la société civile », peut-on lire sur le site internet de l’événement. Un grand raout sponsorisé par le Fonds d’investissement public (FIP) saoudien, l’un des fonds souverains les plus importants de la planète, bras financier du projet « Vision 2030 » porté par MBS, qui vise à décorréler croissance économique et revenus liés au pétrole. L’an dernier, la première édition du « Davos du désert » avait ainsi permis au prince héritier de présenter son projet de ville futuriste, baptisé NEOM, et nécessitant quelque 500 milliards de dollars d’investissements.

« Partenariat stratégique »

Mais le parterre d’investisseurs et de dirigeants devant lequel MBS avait présenté sa vision réformatrice et moderniste de l’Arabie saoudite, risque cette année de faire bien pâle figure. Depuis quelques jours, des dizaines de participants à la FII annoncent qu’ils ne se rendront pas à Riyad, cette semaine, en réponse aux (très forts) soupçons d’assassinat qui pèsent sur le prince héritier dans l’affaire Jamal Khashoggi. Le journaliste saoudien, en exil depuis un peu plus d’un an aux Etats-Unis, critiquait sans ambages le pouvoir saoudien, dans des tribunes que lui réservait le Washington Post notamment. Il s’attachait à dépeindre un Mohamed ben Salman manipulateur et calculateur, bien loin de l’image que celui-ci voulait donner de lui. « L’Arabie saoudite n’a pas toujours été aussi répressive. Aujourd’hui c’est insupportable » écrivait-il par exemple en septembre 2017.

Quelques tribunes de Jamal Khashoggi pour le « Washington Post »

Premier coup dur pour le « Davos du désert » et ses organisateurs : la défection, la semaine dernière, de Dara Khosrowshahi, le patron irano-américain d’Uber, la start-up de chauffeurs à la demande dans laquelle le Fonds d’investissement public saoudien avait investi 3,5 milliards de dollars. D’autres noms prestigieux suivront rapidement l’exemple, parmi lesquels ceux de Jamie Dimon, PDG de la banque américaine JPMorgan, Bill Ford, coprésident du conseil d’administration du constructeur automobile Ford, ou encore Jim Yong-kim, président de la Banque mondiale, et Christine Lagarde, patronne du Fonds monétaire international. Du côté des politiques, le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé jeudi dernier qu’il ne se rendrait pas au forum, ce qui « ne remet pas en cause [le] partenariat stratégique » entre la France et l’Arabie saoudite selon lui.

« Une erreur monumentale »

Mais la véritable claque diplomatique, c’est sans doute le président américain, Donald Trump, qui l’a assénée au prince héritier. Jeudi dernier, le locataire de la Maison-Blanche, puissant allié de Riyad, a finalement estimé, après plusieurs jours de soutien tempéré, que la disparition du journaliste saoudien était « une très mauvaise affaire » pour l’Arabie saoudite. Loin de vouloir enterrer le royaume – auprès de qui les Etats-Unis sont engagés dans plusieurs dossiers brûlants, comme l’étouffement de l’Iran chiite dans la région -, la diplomatie américaine a tout de même décidé de « donner quelques jours de plus [aux Saoudiens] pour mener à bien [les investigations] », a affirmé le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, de retour d’un voyage express à Riyad. Une déclaration pour la forme ; la culpabilité de MBS dans l’affaire ne faisant presque plus aucun doute.

Parmi les quinze ressortissants saoudiens qui se sont rendus à Istanbul, le 2 octobre dernier, plusieurs hommes font partie de la garde rapprochée du prince héritier. Qui continue pourtant de nier sa responsabilité dans l’affaire, certains haut placés du royaume déclarant de leur côté que le fils de l’actuel roi Salman n’était « pas informé » de l’opération. « Les individus qui ont fait cela l’ont fait en dehors du champ de leurs responsabilitésa déclaré, dimanche 21 octobre, Adel al-Jubeir, le ministre saoudien des Affaires étrangères, que MBS avait lui-même nommé à ce poste en avril 2015. Une erreur monumentale a été faite, qui a été aggravée par la tentative de la cacher » selon lui. Une manière de dire qu’il ne lâchera pas le leader de facto de l’Arabie saoudite, qui pourrait en revanche pâtir à l’international des soupçons de culpabilité qui planent sur l’affaire Khashoggi. Tout comme « son » « Davos du désert », qui a enregistré de nombreuses défections en quelques jours.

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