L’ONU alerte sur les « horreurs inimaginables » subies par les migrants en Libye

Les Etats européens sont invités par les Nations unies à prendre en compte le respect des droits humains dans leurs politiques libyennes.

Pour les migrants africains désirant rejoindre l’Europe, le calvaire commence bien avant la Méditerranée, où quelque 300 femmes, hommes et enfants viennent d’être secourus, hier, par un navire humanitaire espagnol. Dès leur arrivée dans le pays, en réalité, ces derniers sont confrontés à toute sorte d’exactions et à des « horreurs inimaginables », pointe du doigt un rapport publié jeudi dernier par la mission des Nations unies en Libye (MANUL) et le Bureau des droits de l’Homme de l’ONU (HCDH). Assassinats, détention arbitraire, tortures, viols collectifs, esclavage : les 61 pages du textes, qui couvrent une période de 20 mois (jusqu’en août 2018), alertent sur les excès régulièrement commis par les fonctionnaires, groupes armés, passeurs, trafiquants de migrants et même réfugiés.

« Torturés à mort »

Pour rédiger leur rapport, les responsables onusiens se sont basés sur 1 300 témoignages recueillis sur place, ainsi qu’au Nigéria – où certains migrants, bredouilles, ont choisi de retourner – et en Italie – premier pays de destination des femmes et hommes qui prennent la mer depuis la Libye -, qui a accueilli, sur les sept premiers mois de l’année 2018, 18 500 personnes, soit une diminution de 81 % par rapport à la même période l’an dernier. Cette route, à travers la Méditerranée, étant la plus mortelle, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), puisque plus de 1 300 personnes sont mortes, depuis le début de l’année, en tentant de gagner l’Italie ou Malte.

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Sans surprise, les auteurs du texte mettent en exergue le climat d’anarchie en Libye, qui fournit un terrain fertile pour les activités illicites, laissant les migrants et les réfugiés « à la merci d’innombrables prédateurs qui les considèrent comme des marchandises à exploiter et à extorquer ». Ainsi, « l’écrasante majorité des femmes et des adolescentes [ont déclaré avoir été] violées par des passeurs ou des trafiquants », souligne également le rapport. Tandis que « d’innombrables migrants et réfugiés ont perdu la vie en captivité, tués par des passeurs, après avoir été abattus, torturés à mort ou tout simplement avoir été laissés mourant de faim ou de négligence médicale ».

« Complicité de certains acteurs étatiques »

Actuellement, la Libye tente de redynamiser le processus de transition démocratique enclenché en 2011 après la chute du chef de l’Etat, Mouammar Kadhafi. Malgré l’accord de Skhirat (Maroc) signé en 2015 entre les différentes parties libyennes, censé déboucher sur l’érection d’un gouvernement d’union nationale, les affrontements se sont poursuivis entre, tout d’abord, islamistes et nationalistes, et à présent entre les forces du général Khalifa Haftar, présenté comme « l’homme fort de l’est libyen », et Fayez al-Sarraj, chef du gouvernement d’union nationale. Ceci sur fond de lutte anti-terroriste (contre l’organisation Etat islamique notamment), chasse aux ressources pétrolières et tentative d’immixtion de certains pays dans les affaires intérieures.

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Autrement dit : le sort des migrants n’est pas vraiment la principale préoccupation des principaux acteurs libyens. Ghassan Salamé, l’envoyé spécial de l’ONU en Libye, a d’ailleurs souligné que même la communauté internationale peinait à mettre ce dossier sur la table. « Il y a un échec local et international dans la gestion de cette calamité humaine cachée, qui continue de se produire [à l’heure actuelle] », a-t-il ainsi déclaré il y a quelques jours. Et pour ne rien arranger au sort des migrants, le rapport de l’ONU d’alerter sur l’apparente « complicité de certains acteurs étatiques, notamment de responsables locaux, de membres de groupes armés officiellement intégrés aux institutions de l’Etat et de représentants des ministères de l’Intérieur et de la Défense, dans le trafic illicite ou le trafic de migrants et de réfugiés ».

Mourir à bord du cargo

La situation, « abominablement terrible » selon Michelle Bachelet, haut-commissaire de l’ONU aux droits humains, est à ce point désastreuse que les migrants interceptés par les garde-côtes libyens refusent tout simplement de retourner en Libye. Où ils pourraient faire face, selon Médecins sans frontières (MSF), à des cycles interminables de détention, dans des centres surpeuplés, et d’abus en tout genre, comme les quelque 29 000 personnes renvoyées sur la terre ferme par les patrouilles en mer depuis 2017. A ce titre, le rapport de l’ONU appelle les Etats européens à reconsidérer les coûts humains de leurs politiques, et à veiller à ce que leur coopération avec les autorités libyennes respectent le droit des réfugiés et, globalement, les droits humains.

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En septembre dernier, le haut-commissariat aux réfugiés (HCR) exhortait d’ailleurs « tous les Etats à suspendre les retours forcés en Libye jusqu’à ce que la situation en matière de sécurité et des droits de l’Homme se soit améliorée considérablement ». Ce qui est encore loin d’être le cas. Fin novembre dernier, 90 personnes ont été débarquées de force par les autorités libyennes, à Misrata, après que les équipes de MSF ont effectué plusieurs dizaines de consultations médicales à bord du bateau qui les avait secourues quelques jours auparavant. Tandis que, selon l’organisation humanitaire, la détresse pouvait aisément se lire sur le visage de beaucoup d’entre eux, un homme aurait refusé de rejoindre un établissement de santé sur le sol libyen. Quitte à mourir à bord du cargo.

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