« La Tunisie accuse des manques en terme de diplomatie économique »

La récente dégradation de la note souveraine de la Tunisie doit être source d’inquiétude selon l’économiste Mohamed Kadria.

Mohamed Kadria est docteur en sciences économiques et chercheur associé au Larequad (Université de Tunis El Manar), spécialisé dans les questions d’économie monétaire et de politique économique. Il revient pour le Monde arabe sur la récente dégradation de la note financière de la Tunisie – de B1 à B2 avec perspectives stables – par l’agence de notation américaine Moody’s.

Cette dégradation constitue-t-elle un signal fort quant à la santé de l’économie tunisienne ?

Mohamed Kadria : La dégradation de la note souveraine de la Tunisie, le 15 mars 2018, constitue, à mon sens, une inquiétude accrue sur la santé de notre économie. C’est une pression supplémentaire sur toutes les institutions du pays concernées, notamment le gouvernement. Et ce afin qu’il puisse à la fois stopper l’hémorragie économique et bien assurer le « take off ».

Que voulez-vous dire ?

Il faut rappeler que cette dégradation est justifiée par les prévisions de l’agence américaine selon lesquelles « l’érosion des réserves budgétaires et des réserves de change ne s’inversera pas de manière significative au cours des prochaines années ». Cela étant dit, cet abaissement confirme d’une part et encore une fois la vulnérabilité de l’économie tunisienne, avec un repli clair de ses fondamentaux, et rappelle le gouvernement, d’autre part, à faire plus d’efforts en matière de mobilisation fiscale, de rationalisation des dépenses publiques et d’amélioration du déficit courant, largement financé par la dette et pesant sur l’adéquation des réserves de change. Force est de constater que la dette publique a atteint 70,2% du PIB en 2017 contre 61,9% en 2016 avec un déficit budgétaire de 6,1% du PIB en 2017, et un déficit du compte courant de 10,4% du PIB en 2017 avec des réserves de change encore diminuées pour s’établir à 77 jours au début de mars 2018.

Comment interpréter la « stabilité » de la note de Moody’s ?

La stabilité des perspectives, selon les prévisions de Moody’s, est motivée par la réduction progressive du déficit courant, expliquée par « la reprise de la demande extérieure pour les services, l’industrie et l’agriculture ». Et in fine le freinage futur de l’érosion des réserves de change, ainsi que la régression du fardeau de la dette publique due à « l’assainissement budgétaire qui est en cours ». La perspective stable reflète également l’hypothèse de Moody’s selon laquelle « la Tunisie continue d’atteindre les objectifs du programme du FMI, assurant la continuité des décaissements prévus du secteur officiel que le gouvernement s’attend à couvrir près de 50 % des besoins de financement budgétaire ».

Les mauvaises notes pleuvent sur la Tunisie depuis un moment, le pays est-il ciblé par une campagne de diabolisation ?

C’est loin d’être vérifié. Et quand bien même, cela demeurera un facteur exogène si diabolisation il y a. Ce qui nous importe est purement endogène et conditionnera la sortie de la crise économique actuelle, conjoncturelle depuis 2011, avec des obstacles structurels de longues dates. Il faudra unifier et harmoniser les efforts de toutes les parties prenantes de l’écosystème tunisien avec un plan d’actions clair et emboité dans une vision économique globale et stratégique.

Pouvez-vous préciser ?

Tout cela passe inévitablement par l’application de la loi, la volonté et le bon sens pour réformer  – fiscalité, entreprises publiques, secteur bancaire, subventions, énergie et environnement entre autres – et prendre en considération le secteur informel, qui demeure en quête de la digitalisation, le renforcement de la coordination entre les pouvoirs publics et monétaires, ainsi que l’assurance d’une bonne qualité de services publics. Même si l’économique est pris en otage par le politique – et malgré les divergences de points de vue sur un grand nombre de sujets -, nous devrions avoir un seul projet, une seule vision et un seul intérêt pour une Tunisie meilleure, qui se respecte et qui garantit un avenir prospère pour ses générations futures.

Quel est l’impact de l’abaissement de la note par Moody’s ?

Cette nouvelle dégradation de la note souveraine de la Tunisie peut avoir maintes répercussions. Parmi lesquelles un éventuel impact négatif sur la sortie programmée de la Tunisie sur le marché financier international – pour l’émission d’un emprunt obligataire par exemple -, sur l’image du pays aux yeux des investisseurs étrangers, et un possible retard de décaissement de la seconde tranche du prêt du FMI. Pourtant, celle-ci est jugée impérative pour l’achèvement du processus de réformes économiques et financières, que la Tunisie s’est engagée à réaliser auprès du FMI.

Que doit faire le gouvernement pour faire reluire l’image de la Tunisie ?

Au delà du recours au lobbying « régulé », comme aux Etats-Unis ou dans d’autres Etats démocratiques, la Tunisie accuse des manques, avant tout, en matière de communication publique et de diplomatie économique. Ces éléments contribuent, sans aucun doute, à étinceler l’image du pays à l’international et auprès des agences de notation, plutôt que de « gonfler ses notes ».

Propos recueillis par Mounira Elbouti

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