« L’Arabie saoudite est obnubilée par des prix du pétrole élevés »

Dans le viseur de Riyad : l’introduction en Bourse du géant pétrolier Saudi Aramco, vraisemblablement retardée à 2019.

Le ministre saoudien de l’Energie, Khaled al-Faleh, a déclaré vendredi dernier que le marché mondial du pétrole avait la capacité d’absorber la hausse des prix du brut, après que ceux-ci ont atteint leur plus haut niveau en plus de trois ans (70 dollars). « Je n’ai pas vu d’impact sur la demande avec les prix actuels. Nous avons vu les prix considérablement plus élevés dans le passé – deux fois plus que ce que nous connaissons aujourd’hui », a déclaré M. Falih aux journalistes, avant une réunion des producteurs de pétrole à Jeddah, en Arabie saoudite. « Comme vous le savez, l’intensité énergétique a diminué de façon significative […] cette réduction de l’intensité énergétique et l’augmentation de la productivité mondiale des intrants énergétiques m’amènent à penser qu’il y a la capacité d’absorber des prix plus élevés », a déclaré l’ancien ministre de la Santé.

Sanctions contre l’Iran

Celui qui fut également, jusqu’en 2015, le patron de Saudi Aramco, la première compagnie pétrolière mondiale – propriété de l’Etat saoudien -, de préciser également que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) n’a aucun objectif pour le prix du pétrole. Ceux-ci sont « fixés par le marché », a-t-il affirmé, mettant en garde contre le danger des fluctuations de prix et estimant que « la volatilité est notre ennemi. » Même son de cloche chez le ministre de l’Energie des Emirats arabes unis (EAU), Suhail al-Mazroui, qui a érigé la stabilité de la production de pétrole en priorité : « Nous n’avons pas de prix cible, notre objectif est la stabilité du marché » a-t-il effectivement déclaré, toujours lors de la réunion de l’OPEP à Jeddah. Organisation qui, en 2016, avait conclu un accord pour réduire la production à 1,8 million de barils par jour, afin de stabiliser la surabondance mondiale.

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C’est cette entente qui a mécaniquement fait grimper les prix de l’or noir au-dessus de 70 dollars le baril, contre moins de 30 dollars début 2016. Problème pour les Saoudiens : les Etats-Unis ont profité de cette conjoncture plutôt favorable, pour les pays producteurs, et ont accéléré les forages, poussant la production nationale à un niveau record de 10,5 millions de barils par jour. Washington, pour mémoire, avait déjà ravi à Riyad la deuxième marche du podium mondial, en termes de production, le pivot de l’OPEP pompant un peu moins de 10 millions de barils par jour tout en respectant les réductions de production convenues. D’où une certaine stabilité des prix, enregistrée pour une deuxième semaine consécutive vendredi dernier, que souhaitent intensifier le ministre saoudien de l’Energie, les membres de l’OPEP et certains de leurs alliés.

A Jeddah, Moscou, par la voix de son ministre de l’Energie, Alexandre Novak, a ainsi déclaré, lors d’une réunion à huis clos, qu’elle s’engageait à conclure un accord sur la réduction de l’approvisionnement en pétrole jusqu’à la fin de 2018, époque à laquelle doit expirer le texte de l’OPEP visant à freiner la production d’or noir. Même les Etats-Unis, qui ferraillent dur pour se positionner en tête des pays producteurs de pétrole, embrassent indirectement la volonté de l’Arabie saoudite de voir les prix du brut se stabiliser à la hausse. En faisant miroiter la réintroduction de sanctions contre l’Iran – dans le cadre de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015, que Donald Trump a toujours considéré comme piteux -, Washington a en réalité soutenu la tendance haussière du prix du baril ces derniers temps.

Gendarme du monde

Ce qui n’a pas empêché le président américain de critiquer la sortie du ministre saoudien de l’Energie sur la capacité du marché mondial à absorber une hausse des prix. « On dirait que l’OPEP recommence. Avec des quantités record de pétrole partout, y compris des bateaux pleins à ras bord en mer. Les prix du pétrole sont artificiellement très élevés ! Ce n’est pas bon et c’est inacceptable ! » a-t-il tweeté juste après la réunion de vendredi dernier. De son côté, Stephen Brennock, analyste chez PVM, a souligné que « l’Arabie saoudite est obnubilée par des prix du pétrole élevés », évoquant le chiffre de 100 dollars le baril – au minimum – afin d’atteindre son objectif de 2 000 milliards de dollars pour l’introduction en Bourse de Saudi Aramco, le géant pétrolier bichonné par Riyad, au centre de tous les espoirs des autorités saoudiennes.

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L’entreprise publique, dont les résultats, au premier semestre 2017 (34 milliards de dollars), ont fait pâlir certaines des marques les plus bankables de la planète, comme Apple (27 milliards de dollars) ou Microsoft (14 milliards de dollars), est le principal outil financier de la « Vision 2030 » du prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (dit « MBS »). Rien que sur les six premiers mois de l’année dernière, selon Bloomberg, Saudi Aramco a versé 13 milliards de dividendes à l’Etat saoudien, qui lui ont permis de financer des politiques économiques, sociales et même militaires – Riyad est empêtrée dans une coûteuse, mais également dramatique, guerre au Yémen depuis mars 2015. Et en ouvrant son capital aux investisseurs privés, les Saoudiens espèrent en tirer la rondelette somme de 100 milliards de dollars. Un record en la matière.

Problème : l’introduction en Bourse de Saudi Aramco – à hauteur de 5 % de son capital, sur une place encore indéterminée – n’est pas pour tout de suite. Alors que celle-ci était prévue pour l’année 2018 – après avoir déjà été repoussée -, elle ne devrait intervenir qu’en 2019, toujours selon Bloomberg. D’où la nécessité, pour l’Arabie saoudite – qui a connu un essoufflement de sa croissance l’an dernier -, de militer pour une stabilisation des prix du pétrole à la hausse pendant quelques mois encore. Heureusement pour elle, si Washington lui dispute le titre de premier producteur mondial avec son schiste à profusion, l’acharnement de Donald Trump à étouffer l’Iran devrait servir ses intérêts pétroliers. Et l’or noir, depuis qu’il a commencé à jaillir à la fin du 19ème siècle, de conserver son statut de gendarme du monde.

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