Uri Savir, président et fondateur du Centre Peres pour la paix, est un peu pessimiste sur la question.
Tout converge vers le 14 mai. Ce jour-là, d’après le média Al-Monitor – basé à Washington -, les manifestations de masse des Palestiniens, le long de la clôture de Gaza, atteindront leur apogée, tandis que les Etats-Unis déplaceront officiellement leur ambassade à Jérusalem. Les habitants de Cisjordanie, quant à eux, devraient descendre massivement dans les rues, pour la reconnaissance d’un Etat palestinien, et il n’est pas exclu que « des attentats terroristes contre Israël [puissent] avoir lieu », estime Uri Savir, président et fondateur du Centre Peres pour la paix et militant pour rétablissement de la paix en Israël. Le 14 mai, ce sera également la veille de la commémoration, par les Palestiniens, de la Journée de la Nakba, qui intervient cette année après des semaines de heurts entre Gazaouis et forces armées israéliennes, les premiers manifestant pour le « droit au retour » des réfugiés palestiniens et la fin du blocus contre la Bande de Gaza.
« Une existence sans Etat »
Un haut fonctionnaire de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), proche du président Mahmoud Abbas, a d’ailleurs précisé à Al-Monitor, sous couvert d’anonymat, l’importance de ces manifestations. « La Journée de la Nakba nous rappelle toujours notre destin tragique, comment nous avons perdu notre terre, le massacre de Deir Yassin [en 1948, pendant la guerre d’indépendance d’Israël, ndlr] et surtout la tragédie de nos réfugiés dispersés dans le monde entier. » La Nakba, le « désastre » ou la « catastrophe », fait référence, dans la mémoire collective palestinienne, à l’exode du peuple arabe en 1948, durant la guerre israélo-palestinienne, qui entraina la fuite de 700 000 personnes environ. Dont le nombre de descendants est aujourd’hui estimé à 5 millions selon les Nations unies (ONU).
« De 1988 à 1993, notre leader, le président Yasser Arafat, a compris que la narration palestinienne devait être rectifiée. Que l’indépendance palestinienne se produirait enfin aux côtés d’Israël, et non pas pour le remplacer » a enchainé le haut fonctionnaire palestinien. Celui-ci d’expliquer également que l’Accord d’Oslo, signé en 1993 entre le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, et le futur président de l’Autorité palestinienne (AP), était issu de cette reconnaissance. « Pour le bien de l’Etat et de la paix, les Palestiniens étaient prêts à céder 75 % de la Palestine à Israël, à condition qu’ils puissent établir un Etat indépendant sur les lignes de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale » précise de son côté Uri Savir. « Aux yeux des Palestiniens, il s’agissait d’un compromis historique, reconnu par le Premier ministre Yitzhak Rabin et le président américain Bill Clinton. »
« Pourtant, depuis 1996, lorsque le Premier ministre Benjamin Netanyahou est arrivé au pouvoir, Israël a renié l’Accord d’Oslo et a commencé à mettre en œuvre de vastes politiques d’expansion des colonies de peuplement et d’annexion » poursuit-il. Le haut fonctionnaire interrogé sous couvert d’anonymat de déclarer, selon lui, qu’Israël réduisait sciemment les Palestiniens à « une existence sans Etat, arguant que la légitimité d’Israël est le résultat de l’Holocauste en Europe ». Pour le membre de l’OLP, ainsi, pas de doute : « 2018 et 2019 seront des années de décision pour les Palestiniens », qui devront choisir entre la reprise de la lutte armée et l’égalité des droits dans un Etat binational. Des dilemmes d’autant plus exacerbés par les politiques pro-israéliennes du président américain Donald Trump.
Résolution 1397
Le 6 décembre dernier, celui-ci annonçait le transfert prochain de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, reconnue par lui comme capitale d’Israël – une demi-surprise, le successeur de Barack Obama ayant toujours affiché un tropisme israélien. Il n’en fallait pas plus pour que les relations entre Mahmoud Abbas et Washington deviennent exécrables, tandis que l’administration américaine doit présenter, bientôt, son plan de paix pour les Palestiniens. Qui ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne souhaitaient plus que les Etats-Unis interviennent dans le processus de paix avec Israël. Quant à Emmanuel Macron, le président français, qui est aujourd’hui en déplacement à Washington, il s’est entretenu samedi dernier avec le leader de l’AP afin de « faire le point sur la situation en Palestine et sur les perspectives de négociations de paix », d’après un communiqué de l’Elysée.
Le chef de l’Etat français en a profité pour saluer les annonces faites lors du sommet de la Ligue arabe du 15 avril dernier, « appuyant la solution des deux Etats, avec Jérusalem comme capitale, et réitérant un soutien à l’initiative arabe de paix de 2002. » Tandis que, cette même année, le Conseil de sécurité de l’ONU évoque pour la première fois la perspective d’un Etat palestinien (résolution 1397), la Ligue arabe, qui se réunit fin mars, appelle Israël à stopper sa politique répressive et, surtout, à reconnaitre le droit à une entité étatique pour les Palestiniens. Si celle-ci n’a jamais paru aussi lointaine qu’aujourd’hui, la France devrait continuer « ses efforts en vue d’une solution négociée entre Israéliens et Palestiniens, seule voie possible pour retrouver le chemin de la paix » a estimé M. Macron. Qui devait aborder avec son homologue américain le dossier palestinien.
Parviendront-ils à s’entendre sur le sujet et, mieux, à amorcer une désescalade dans la région ? Rien n’est moins sûr. Comme le note Uri Savir, les récits palestinien et israélien « s’affrontent depuis plus d’un siècle ; ils ne se réconcilieront jamais. » Si le processus d’Oslo était « un effort de feu Rabin, Shimon Peres et Yasser Arafat pour créer le nouveau récite d’un avenir de coexistence mutuelle entre deux Etats […] cela a pris fin avec l’assassinat de Rabin en 1995 et, avec lui, la fin de tout processus de paix viable » estime-t-il. D’ailleurs, précise M. Savir, la partie palestinienne est loin d’être sur la même longueur d’ondes, puisque « les dirigeants tant du Fatah que du Hamas s’éloignent de toute stratégie de coexistence pacifique. » Ainsi, près de 70 ans après l’indépendance, « nous nous trouvons dans des récits historiques contradictoires qui, tôt ou tard, peuvent conduire à nouveau à la violence et à l’effusion de sang. »
