Esclavage en Libye : « On en parle depuis longtemps »

Pour avoir laissé prospérer aux portes de l’Europe des milices libyennes qui pratiquent l’esclavage, Bruxelles est accusée de « complicité » de « crime contre l’humanité ».

L’Union européenne ouvrirait-elle enfin les yeux sur la situation en Libye ? Jeudi, le commissaire européen chargé des migrations, Dimitris Avramopoulos, a déclaré que le sort « épouvantable » des réfugiés, dont certains sont vendus comme esclaves, « ne peut pas durer ». C’est la chaine de télévision américaine CNN qui, la semaine dernière, avait révélé le scandale au grand public ; des journalistes s’étaient rendus à une véritable vente aux enchères d’êtres humains qu’ils avaient pu filmer grâce à une caméra cachée. Emmanuel Macron avait alors rapidement qualifié de « crimes contre l’humanité » ces actes d’esclavage et appelé à « démanteler les réseaux » de trafiquants.

« Je partage pleinement l’indignation du président français, les images révélant la vente de migrants sont révoltantes » a renchéri jeudi Dimitris Avramopoulos. « Nous sommes tous conscients des conditions épouvantables et dégradantes dans lesquelles sont détenus certains migrants en Libye. Cela ne peut durer. C’est pour cette raison que l’Union européenne (UE) travaille sans relâche, sur tous les fronts, avec ses partenaires internationaux afin de trouver des solutions durables et en accord avec ses valeurs fondatrices de solidarité et de respect des droits de l’Homme » a-t-il ajouté.

Coopération inhumaine

Les Etats membres ont pour l’instant promis environ 34 000 places pour accueillir les migrants – dont 10 000 par la France. S’il faut se réjouir de cette prise de conscience européenne, on peut se demander si Paris et les autres membres de l’UE auraient agi de la même manière sans le travail des journalistes de CNN. Car la situation en Libye est loin d’être nouvelle : certaines ONG alertent depuis longtemps sur ces pratiques d’un autre âge, comme le révèle Alioune Tine, directeur Afrique de l’Ouest et du Centre d’Amnesty International, basé à Dakar (Sénégal). « Les prises d’otages, les violences, la torture, les viols sont monnaie courante en Libye, et l’esclavage, on en parle depuis longtemps. »

Au mois d’avril dernier, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) évoquait déjà l’existence de « marchés aux esclaves » dans le pays, où les migrants deviennent « des marchandises à acheter, à vendre et jeter lorsqu’elles ne valent plus rien » d’après Leonard Doyle, porte-parole de l’OIM. En septembre, rebelote : la présidente de Médecins sans frontières (MSF), Joanne Liu, publiait une lettre ouverte aux gouvernements européens pour dénoncer « une entreprise prospère d’enlèvement, de torture et d’extorsion ». Mi-novembre, enfin, c’est le haut-commissaire des Nations unies (ONU), Zeid Ra’ad Al-Hussein, qui dénonçait les conditions de détention des migrants, résultat selon lui d’une coopération UE-Libye « inhumaine ».

« Crime contre l’humanité »

« La communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurées par les migrants en Libye et prétendre que la situation ne peut être réglée qu’en améliorant les conditions de détention » avait-il déclaré. Dans son viseur : la politique de Bruxelles consistant à aider les garde-côtes libyens à intercepter les migrants et les renvoyer sur le sol africain. L’Italie est d’ailleurs soupçonnée d’avoir passé des accords avec certaines milices locales pour endiguer les vagues de migrations. Les passeurs, voyant leur « business » se tarir, se changeant alors en esclavagistes, comme le soulignait la semaine dernière Franck Génauzeau, correspondant de France 2 au Proche-Orient.

« La Libye est aujourd’hui un Etat impuissant face aux milices, aux factions qui se partagent son territoire. Ce sont des révolutionnaires d’hier reconvertis en grands trafiquants internationaux [et] dans l’esclavage » selon lui. Un manège que n’a pas empêché l’UE, coupable d’après Claudy Siar, membre du Collectif contre l’esclavage en Libye qui s’exprimait jeudi sur France Info, de « complicité » de « crime contre l’humanité ». « Le 3 février dernier, l’Union européenne signe un accord avec la Libye pour enrayer ce flux migratoire [mais] en réalité pour stopper les migrants pour qu’ils soient dans un cul de sac. […] Vous savez très bien qu’en faisant cela vous donnez un permis de tuer et c’est bien ce qui se passe. »

Partages