Que ce soit pendant la guerre du Vietnam ou, plus récemment, en Syrie ou en Birmanie, le viol a toujours été une arme politique.
Le 23 octobre dernier, la chaîne Arte a diffusé un documentaire réalisé par la journaliste Cécile Allegra (Prix Albert Londres en 2015), intitulé Libye, anatomie d’un crime. Le film suit la juriste internationale spécialisée dans les crimes de guerre Céline Bardet, ancienne membre du tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, qui enquête sur les victimes de viol de guerre dans ce pays en plein chaos, dévasté par les combats, sans gouvernement ni système judiciaire stables depuis les « Printemps arabes ».
Le viol : une arme de guerre qui cible tout particulièrement les hommes en #Libye. 🇱🇾 ➡ https://t.co/XXNq5xmDSC pic.twitter.com/te1PfPmIv5
— ARTE (@ARTEfr) 23 octobre 2018
Le viol, une arme politique
Si 8 000 femmes auraient été violées dans les mois qui ont suivi la révolution dirigée contre le régime de Mouammar Kadhafi, en 2011, « en Libye, les hommes (aussi) sont ciblés, car ce sont eux qui dirigent le pays et les tribus. Le viol a une fonction castratrice, il leur enlève tout pouvoir », explique Céline Bardet au Point. « Il y a eu une sorte de basculement. Si pendant la révolution les victimes étaient les femmes, depuis 2014 le viol systématique vise principalement les hommes en prison », détaille encore la juriste à Jeune Afrique.
Un « tabou dans le tabou » qui vise à « les humilier. Les chefs, les membres des milices, les responsables, ce sont les hommes. La société libyenne, religieuse et conservatrice, est gérée par des hommes. Au moment où ces personnes sortent de prison et ont régulièrement subi une telle mortification, elles sont complètement anéanties. Ils rentrent chez eux et ne représentent plus une menace », selon elle.
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Impossible, dans ces conditions, de savoir avec certitude combien d’hommes ont été violés dans le pays. Crime indicible par excellence, le viol des hommes ne peut être amené sur la place publique libyenne. « La meilleure preuve qu’une arme fonctionne, confirme la réalisatrice Cécile Allegra, c’est le silence. Nommer les choses est un premier pas vers la justice ».
Une justice, précisément, qui tarde à être rendue. Si le Tribunal pénal international (TPI) de La Haye a déjà condamné des dirigeants politiques pour des viols et violences sexuelles commis sur leur population, la Cour demande encore des « preuves » dans le cas libyen. Des preuves qui ne peuvent venir que de témoignages répétés et douloureux. Pour libérer la parole, Céline Bardet et son ONG travaillent donc à lancer une application pour smartphone, qui permettrait de recueillir le témoignage des victimes et de les enregistrer sur un cloud, sans mettre en danger les personnes. « La reconstruction de la Libye passe aussi par là », juge effectivement Cécile Allegra.
Le viol, une arme de guerre
Le cas de la Libye rappelle que le viol est une « arme » régulièrement utilisée au cours des conflits d’hier comme d’aujourd’hui. Pendant la guerre du Vietnam, des militaires sud-coréens, qui se battaient aux côtés des GI’s américains, se sont ainsi livrés à des viols de masse sur des femmes vietnamiennes. Aujourd’hui, on estime que de 5 000 à 30 000 Lai Dai Han, les enfants de « sang-mêlé » nés de ces viols, vivent au Vietnam, où ils demeurent, avec leur mère, victimes de persécutions et d’exclusion. Ceci alors que la Corée du Sud refuse toujours de reconnaître sa responsabilité dans cet épisode.
Plus récemment, une enquête de l’ONU a révélé que l’armée syrienne et des miliciens pro-Bachar al-Assad se livraient à des viols « systématiques » sur « des milliers de femmes et d’adolescentes » détenues dans les geôles du régime. Selon les auteurs de l’enquête, « les viols et autres actes de violence sexuelle (…) font partie d’une agression répandue et systématique visant la population civile, et s’apparentant à des crimes contre l’humanité ».
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En Birmanie également, le viol est utilisé comme une arme de guerre contre les Rohingyas, cette minorité ethnique de confession musulmane chassée de ses terres. Une nouvelle série de témoignages recueillis par l’Associated Press dans des camps de réfugiés au Bangladesh tend ainsi à démontrer le caractère massif et systématique des viols et agressions sexuelles perpétrées par l’armée birmane sur les femmes Rohingyas. Des pratiques barbares, obligeant les femmes à fuir et provoquant la colère des hommes afin de mieux justifier la répression.
