Des pourparlers de paix doivent se tenir début décembre en Suède alors que le conflit yéménite sort progressivement de l’ombre.
Le marathon de la paix continue pour Martin Griffiths. L’envoyé spécial des Nations unies (ONU) au Yémen a débarqué vendredi matin à Hodeïda (ouest), la ville portuaire aux mains des rebelles Houthis, où il doit convaincre les parties de la nécessité d’une trêve sur le long terme, alors que la coalition saoudienne tente de reprendre la zone depuis plusieurs mois. Malgré un cessez-le-feu enclenché depuis une dizaine de jours – et plutôt respecté -, la situation reste très incertaine. Hodeïda, qui illustre à elle seule la complexité du conflit yéménite, demeure l’un des points les plus stratégiques du pays, dont 70 % des importations – sans parler de l’aide humanitaire – passent par la ville portuaire. Aujourd’hui, environ 60 % de la population (soit 18 millions de personnes) connait l’insécurité alimentaire, tandis que près de 14 millions de Yéménites pourraient souffrir de « pré-famine » d’ici peu selon l’ONU.
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Preuve de l’extrême défiance qui règne entre les parties, Abdul-Malik al-Houthi, le leader houthiste – qu’a d’ailleurs rencontré Martin Griffiths, ce jeudi à Sanaa, la capitale yéménite, afin d’évoquer une « solution politique » au conflit -, a sommé la coalition saoudienne d’apporter la preuve qu’elle est bel et bien disposée à enclencher un processus de paix. L’ONU, tout comme les Etats-Unis, espérant que celui-ci interviendra le mois prochain, alors que le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, a annoncé mercredi que des pourparlers auraient lieu début décembre en Suède. Véritable cheval de bataille de Martin Griffiths depuis qu’il occupe ses fonctions, la solution politique lui a pourtant toujours échappé. A deux reprises déjà, en 2016 et en septembre 2018, des pourparlers interyéménites de paix, organisés à Genève (Suisse), se sont soldés par un échec. Les Houthis, craignant pour l’intégrité des zones qu’ils contrôlent au Yémen, refusant de s’y rendre.
« Mettre fin au conflit »
Comme l’avait pourtant souligné le Conseil de sécurité début septembre dernier, « ces consultations initiales constitueront une étape nécessaire et importante vers la mise en œuvre d’accords politique et de sécurité complets et inclusifs, nécessaires pour résoudre le conflit, améliorer la situation humanitaire et apporter la paix, la prospérité et la sécurité à tous les Yéménites ». Qui ne peuvent que constater, depuis plusieurs années, la chute abyssale de leur économie et de leur système de santé, par exemple. D’après les chiffres de l’ONU, 79 % de la population est en situation de pauvreté (contre 49 % l’an dernier) ; le PIB par habitant a diminué de 61 % au cours des trois dernières années ; moins de 50 % des établissements de santé fonctionnent ; et 56 % de la population (soit 16 millions de personnes) n’a pas accès aux soins de base.
Dans une note conjointe publiée ce jeudi, le sous-secrétaire de l’ONU pour les affaires humanitaires, Mark Lowcock, et la directrice exécutive de l’UNICEF chargé du dossier yéménite, Henrietta Fore, se sont dits « particulièrement préoccupés par l’hôpital d’Al Thawrah », l’un des trois établissements publics de la ville toujours opérationnels, cependant très proche des lignes de front. « Ce qui signifie que toute reprise des hostilités pourrait rapidement rendre l’installation inutilisable. [Alors qu’] Al Thawrah a été endommagé plusieurs fois pendant les combats avant l’accalmie », pointent les deux responsables. Dont les craintes rejoignent celles du personnel humanitaire en place dans la ville portuaire. « Les civils ont de moins en moins d’options pour accéder aux soins de santé à Hodeïda, et référer des patients vers d’autres établissements en dehors de la ville prend des heures », a ainsi confié Caroline Seguin, responsable des opérations de Médecins sans frontières au Yémen, mercredi dernier.
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A présent, estiment Mark Lowcok et Henrietta Fore, « une cessation durable des hostilités […] serait une première étape bienvenue. » A charge, ensuite, pour les deux parties et l’ensemble des acteurs, de respecter « l’approvisionnement en nourriture et en biens essentiels », soutenir l’économie du pays, augmenter le financement dédié à la stabilisation du Yémen, et « mettre fin au conflit ». Depuis plusieurs semaines, alors que la situation yéménite semblait réellement inextricable, de plus en plus de voix à l’international s’élèvent pour réclamer la fin des hostilités. Laissant ainsi espérer qu’une « solution politique » puisse effectivement se dessiner.
« A fond derrière »
Les Etats-Unis, tout d’abord, fidèles alliés de l’Arabie saoudite dans la région, ont durci le ton à l’égard de Riyad, directement pointée du doigt au Yémen, après les révélations concernant l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, le 2 octobre dernier, au consulat saoudien d’Istanbul (Turquie). « Le moment est venu de mettre fin aux hostilités », avait alors déclaré Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat américain, le 30 octobre dernier. Plusieurs pays, dont l’Allemagne, ont ensuite annoncé qu’ils suspendaient leurs livraisons d’armes aux Saoudiens, conformément aux textes internationaux qui interdisent le commerce de matériel militaire avec des pays susceptibles de déstabiliser une région ou d’atteindre aux droits humains. L’Union européenne, qui a également appelé à un embargo sur les ventes d’armes aux Saoudiens, a quant à elle réaffirmé, lundi dernier, la nécessité d’une solution politique.
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Enfin, hier, le président français, Emmanuel Macron, recevait à Paris le prince héritier d’Abou Dabi – leader de facto des Emirats arabes unis (EAU) -, Mohamed ben Zayed (dit MBZ), l’autre tête pensante, avec le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (MBS), de la coalition arabe qui intervient au Yémen. Et par conséquent directement responsable, au même titre que Riyad et les Houthis, de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays. La visite de l’homme fort des EAU a été l’occasion, pour un grand nombre d’associations, de braquer les projecteurs sur les « 85 000 enfants qui seraient morts de malnutrition depuis le début de la guerre », un nombre révélé par l’ONG Save the Children mercredi dernier. Qui relègue d’ailleurs aux oubliettes le bilan officiel – datant de 2016 – des personnes tuées au Yémen depuis quatre ans, bien supérieur à 10 000.
« Oublié » il y a quelques mois encore, le conflit au Yémen dispose aujourd’hui de la visibilité médiatique indispensable pour que s’enclenche une désescalade durable et un processus de paix. La quasi totalité des observateurs appelant d’ailleurs à la « solution politique » tant réclamée par l’ONU. D’après Jim Mattis, Riyad et Abou Dabi « sont à fond derrière » les négociations qui doivent se tenir en Suède dans quelques jours. Suffisant, pour les rebelles Houthis, qui réclament des garanties solides de la part de la coalition ? Réponse dans quelques jours. La déclaration du secrétaire américain à la Défense pouvant également être lue comme un moyen de préserver les Saoudiens – qui demeurent pour l’instant les alliés puissants de Washington dans la région – en cas d’échec des pourparlers. Echec qui incomberait, dès lors, pour Riyad et Abou Dabi, aux combattants houthistes.

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