La semaine dernière, lors de son investiture, Abdelmadjid Tebboune a dressé les grandes lignes de sa politique.
L’ « aventure » ne fait que commencer, pour le nouveau chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune. Jeudi 19 décembre, à l’issue d’un scrutin fortement contesté par le mouvement de protestation né il y a 11 mois maintenant, ce dernier a donc été investi président de la République, comme prévu. Mais, preuve que le vainqueur de l’élection présidentielle du 12 décembre dernier marche sur des œufs, actuellement, la cérémonie d’investiture, organisée au Palais des Nations (Club des Pins), près d’Alger, la capitale de l’Algérie, s’est tenue « dans une ambiance crispée », rapporte le quotidien francophone El Watan.
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« En effet, la ‘‘fête’’ a eu lieu sous haute sécurité. L’infrastructure qui devait accueillir cette cérémonie était quadrillée dès les premières heures de la matinée. La présence sécuritaire était fortement remarquable : gendarmes, militaires et autres éléments des services de sécurité », d’après Madjid Makedhi, journaliste algérien. Un dispositif à la hauteur de l’événement, dont le parking était « archi comble. Vers 8 heures, soit deux heures avant le début de la cérémonie officielle, il n’y avait presque plus de place pour les véhicules des invités, qui continuaient d’affluer », note également Madjid Makedhi.
A l’intérieur du Palais, même topo : les mesures de sécurité apparaissent renforcées, et pour la première fois, les journalistes conviés à un tel raout doivent déposer leur smartphone à l’entrée. Une mesure « inexplicable », s’exclamera l’un d’entre eux, qui n’avait « jamais vu cela par le passé ». Pas de quoi ternir en tout cas la matinée, côté présidentiel, alors que les premiers invités prennent place. Parmi eux, quelques anciens soutiens du président déchu, Abdelaziz Bouteflika, débarqué du pouvoir en avril dernier : Khaled Bounedjma, Tayeb Lahouari, Nouria Hafsi, Abdelaziz Belkhadem, Abdelaziz Ziari, Mohamed Alioui… Mais également les candidats « malheureux » de la présidentielle.
« Aidez-moi et encouragez-moi »
Après avoir remercié chaleureusement Abdelkader Bensalah, le désormais ex-président par intérim – qui a avoué ne pas avoir été « préparé » à cette fonction -, Abdelmadjid Tebboune s’est adressé en second lieu au peuple algérien, qui « [lui] a fait confiance à l’occasion de la présidentielle, qui a remis le pays sur la voie de la légitimité constitutionnelle et populaire ». Ce scrutin, et par conséquent ce résultat, « c’est le fruit du hirak national [le mouvement de contestation populaire, ndlr] », glissera-t-il également, tout en lançant des remerciements à l’adresse des Algériens… mais également du « premier responsable de l’institution militaire, Gaïd Salah ».
Ce dernier fut même honoré, à l’issue de la cérémonie, en recevant la médaille de l’Ordre du mérite national des mains du nouveau chef de l’Etat, « à titre exceptionnel », en signe de « reconnaissance pour ses efforts et son rôle durant cette période sensible ayant permis de respecter la Constitution et préserver la sécurité des citoyens, du pays et des institutions de la République », s’est-il exprimé. Tout en assurant qu’il prenait l’engagement de satisfaire « ce qui reste des revendications du mouvement populaire, conformément à [la loi suprême] ». Et a pour ce faire lancé un appel : « Aidez-moi et encouragez-moi si je suis sur le bonne voie. Corrigez-moi en revanche si je dévie du bon chemin ».
Reste à savoir comment la population percevra cette « main tendue » du nouveau président, elle qui rejetait l’organisation du moindre scrutin par le « système », au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962. Et qui appelait même à son démantèlement total et son remplacement par des institutions de transition. Le « dialogue » pour une « Algérie nouvelle », appelé de ses vœux par Abdelmadjid Tebboune, sera-t-il suivi d’effets positifs et, surtout, constructifs ? La nouvelle équipe présidentielle réussira-t-elle à mettre fin à la crise politique en Algérie, qui dort depuis de nombreuses années déjà, et dure ouvertement depuis près d’un an ?
La fin de « Son Excellence »
Ces questions devraient trouver des réponses dans les prochains mois – voire les prochaines semaines. Première échéance : la révision de la Constitution, qui ne devrait permettre le renouvellement du mandat présidentiel qu’une seule fois, réduisant ainsi ses prérogatives, a assuré le nouveau chef de l’Etat. Qui a également promis de garantir « le respect des droits de l’homme, la liberté de manifester et la liberté de la presse ». Soit autant de revendications que l’on a pu entendre dans la rue ces derniers temps. Autres chantiers, qui suivront les précédents : la « révision de la loi électorale pour permettre aux jeunes » de participer à la vie politique algérienne, ainsi que la fin de « l’argent-roi » en politique.
Tout en promettant de bâtir une économie forte, Abdelmadjid Tebboune a affirmé qu’il ne tolèrerait pas la « gabegie » et n’aurait recours qu’ « aux importations […] dont le pays a véritablement besoin ». Autrement dit : l’exécutif algérien devrait s’atteler à endiguer la corruption, qui mine le pays depuis des années. Une mesure qui demeure l’une des grandes revendications des contestataires depuis des mois. En revanche, il n’a pas du tout mentionné l’une des questions qui font l’actualité nationale, relève El Watan. A savoir celle « des détenus politique et d’opinion, que la justice continue de condamner à des peines d’emprisonnement ».
Autre mesure, qui n’aura d’impact que symbolique, mais tout de même : Abdelmadjid Tebboune a exigé le bannissement, dans le langage officiel, du « prédicat de ‘‘fakhamatouhou’’ », soit « Son Excellence » en arabe, qui renvoient directement aux pratiques de l’ « ancien régime ». Ce terme, véritable « passe-partout » utilisé par tous les clients du « système », révèle le quotidien algérien, devrait donc disparaître du champ politique, en Algérie, tout comme les pratiques qui ont amené des dizaines de milliers d’Algériens à descendre dans la rue. A eux de rester vigilants, et de « corriger » le nouveau président s’il « dévie du bon chemin », comme il l’a lui-même déclaré.
