Soudan du Sud : le temps de la paix est-il enfin venu ?

En six ans, la guerre civile sud-soudanaise a fait 400 000 morts et entraîné une catastrophe humanitaire.

C’est une accolade lourde de sens à laquelle ont assisté, samedi à Juba, la capitale du Soudan du Sud, plusieurs diplomates et représentants des pays voisins, entre le président Salva Kiir et son rival de toujours, Riek Machar. Après six années de guerre civile, les deux personnages, qui ont déjà tenté à deux reprises de former un gouvernement, ont sifflé « la fin officielle » du conflit, affirmant que la paix était désormais « irréversible » et jurant qu’ils s’entendraient pour diriger convenablement le plus jeune pays du monde.

« Je veux vous assurer que, pour le peuple du Soudan du Sud, nous allons travailler ensemble pour mettre fin à sa souffrance », a ainsi affirmé le rebelle Riek Machar, désormais premier vice-président, après que Salva Kiir a dissous vendredi son gouvernement, respectant ainsi le processus de paix engagé en septembre 2018. Tandis que les deux têtes de l’exécutif devraient annoncer dans les prochains jours les membres de leur équipe gouvernementale, le pays et ses habitants retiennent leur souffle. Leur plus grande crainte ? Que la paix soit de nouveau un échec.

400 000 morts

Pour rappel, tout a commencé après que Salva Kiir – qui appartient à l’ethnie Dinka – a accusé Riek Machar, son ex-vice-président – membre de l’ethnie Nuer quant à lui -, d’avoir fomenté un coup d’Etat contre lui, le 16 décembre 2013. Le lendemain, des affrontements entre partisans des deux hommes politiques font plus de 70 victimes. Quelques jours plus tard, le pays s’embrase et assiste impuissant à une partie de gagne-terrain entre les forces armées de Kiir et les rebelles, sur fond d’intérêts stratégiques liés à la manne pétrolière du pays.

Très rapidement, certaines voix craignent que les combats ne prennent une dimension ethnique, et des instances internationales font état d’exactions viles tout en dénonçant des crimes contre l’humanité. Un pas dans l’horreur est franchi lorsque le 23 juin 2015, l’UNICEF révèle que des enfants ont été victimes d’émasculations, de viols et d’égorgements, tandis que d’autres ont été brûlés vifs. Les belligérants enrôleront de force au moins 19 000 enfants au cours des six années d’affrontements, pour combattre et servir d’esclaves sexuels notamment.

Jusqu’en 2018, les déclarations de cessez-le-feu s’empilent sans grand résultat, les parties se rejetant mutuellement la responsabilité de la reprise des combats l’une sur l’autre. A l’arrivée, le , la London School of Hygiene and Tropical Medicine remet un rapport dans lequel elle annonce que la guerre civile a fait 400 000 morts entre décembre 2013 et avril 2018. Les combats et actes de violence étant responsables de la moitié des pertes ; l’autre moitié étant due à la famine et aux maladies.

A ce titre, la Commission des Nations unies (ONU) pour les droits de l’Homme au Soudan du Sud a remis son quatrième rapport sur le conflit, le 20 février dernier. On y apprend, entre autres, qu’ « aujourd’hui, au Soudan du Sud, les civils sont délibérément affamés, systématiquement surveillés et réduits au silence, arbitrairement arrêtés et détenus et se voient refuser un accès significatif à la justice ». Ceci de manière stratégique et organisée, afin de priver les communautés ennemies de ressources, forçant ainsi leur capitulation.

Poignée de main

Comment recréer du lien entre dirigeants et population après cela ? C’est la question à laquelle vont rapidement devoir répondre Salva Kiir et Riek Machar. Dans un premier temps, un devoir de mémoire semble nécessaire. Se souvenir pour guérir, ou plutôt pour envisager, à plus ou moins long terme, une guérison. Car les six années de guerre civile ont laissé des traces profondes dans les consciences, nationales et internationales, au gré des rapports sur les crimes de guerre et autres exactions commises. La haine ethnique doit cesser.

Dans un second temps, mais tout aussi rapidement, le couple exécutif devrait prendre des mesures pour enrayer la famine qui grappille du terrain au Soudan du Sud. La semaine dernière, on apprenait dans un rapport remis par plusieurs agences des Nations unies (ONU), qu’environ 6,5 millions de Sud-Soudanais, soit plus de la moitié de la population, pourrait connaître une insécurité alimentaire aiguë entre mai et juillet prochain. Notamment dans les zones les plus touchées par les inondations de 2019.

Enfin, les autorités devront permettre aux quelque 4 millions de personnes déplacées par les conflits – soit un tiers de la population sud-soudanaise – de retrouver leur habitat. « Le Soudan du Sud est une tragédie humaine qui se distingue par le profil des victimes. Il faut savoir que parmi les réfugiés, 85 % sont des femmes et des enfants, 63% sont des enfants de moins de 18 ans », affirmait en juin 2018 Arnauld Akodjenou, coordinateur régional et conseiller spécial du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) pour le Soudan du Sud.

Si l’on ne peut que se féliciter de l’application de l’accord de paix de septembre 2018, les dirigeants sud-soudanais devront veiller à réparer le pays avant de tenter de le faire repartir. Son économie, notamment, alors que les Sud-Soudanais devraient faire face, en 2020, à une inflation de plus de 70 %, après qu’elle a atteint 106 % en 2018 et 390 % en 2016 ! Pour rappel, le pays a beau regorger de pétrole, 80 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté.

Gageons à présent que les deux ex-ennemis parviendront à s’entendre pour passer des paroles aux actes. Signe encourageant, le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki, a déclaré que Salva Kiir et Riek Machar avaient fait preuve « de maturité politique en faisant les sacrifices et les compromis nécessaires ». Leur poignée de main, qui n’est pas sans rappeler celle, historique mais guère suivie d’effet, entre les dirigeants arabe et israélien, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, en 1993, laisse espérer en tout cas la fin d’une période sombre pour le Soudan du Sud.

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Crédits photo : MAJAK KUANY/AFP.

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