Tel-Aviv craint que l’assouplissement des sanctions contre Téhéran ne l’incite à réinvestir, à tout point de vue, le Moyen-Orient.
Alors que l’attention du monde est focalisée sur l’Est de l’Ukraine, l’administration Biden est également dans une course contre la montrer avec les puissances mondiales en vue de rétablir l’accord nucléaire international de 2015 avec l’Iran.
Après des mois de négociations à Vienne, en Autriche, les différentes parties ont indiqué qu’un nouvel accord était proche, peut-être dans les prochains jours. Mais au lieu de l’accord « plus long et plus fort » promis à l’origine par les États-Unis, l’accord ne devrait guère faire plus que rétablir le pacte initial, dont les principales restrictions sur l’activité nucléaire iranienne expirent dans quelques années.
Cette modeste réalisation semble être le mieux que l’administration Biden puisse espérer à un moment où elle est freinée par le Congrès au niveau national, et submergée à l’étranger par la crise ukrainienne ainsi que des défis à plus long terme, tels que la Chine et le changement climatique. Mais elle tire la sonnette d’alarme en Israël, dont les dirigeants condamnent de plus en plus fermement un accord dont ils craignent qu’il n’empêche pas l’Iran de se doter d’armes nucléaires.
« L’accord qui se dessine, tel qu’il semble, est hautement susceptible de créer un Moyen-Orient plus violent et plus volatil », a déclaré cette semaine le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, réitérant sa menace qu’Israël n’est pas lié par l’accord et est prêt à attaquer l’Iran si nécessaire. L’agence américaine Associated Press (AP) propose un examen approfondi de l’accord et de ses suites.
COMMENT NOUS EN SOMMES ARRIVÉS LÀ ?
L’accord de 2015, dont l’ancien président Barack Obama était le fer de lance, visait à empêcher l’Iran de pouvoir fabriquer une bombe nucléaire. Il offrait à l’Iran un allègement des sanctions économiques sévères en échange de restrictions de 10 à 15 ans sur ses activités nucléaires. L’Iran affirme que ses activités nucléaires sont pacifiques.
Les détracteurs de l’accord, emmenés par le Premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Nétanyahou, se sont plaints que les restrictions étaient temporaires, qu’elles n’étaient pas étanches et qu’elles donnaient à l’Iran la possibilité de se doter de l’arme atomique. Ils ont également fait valoir que l’accord, connu sous le nom de plan d’action global conjoint ou JCPOA, ne traitait pas des activités non nucléaires de l’Iran, notamment le soutien qu’il apporte à des mandataires régionaux et le développement de missiles à longue portée capables d’emporter une bombe.
À l’instigation de Nétanyahou, le président Donald Trump s’est retiré de l’accord en 2018, promettant une campagne de « pression maximale » sur les Iraniens. Malgré des sanctions plus sévères, cette stratégie semble s’être retournée contre lui. Le gouvernement iranien, désormais dirigé par un dirigeant plus dur qui a été élu l’année dernière, reste fermement au pouvoir, et avec l’effilochage de l’accord, l’Iran a fait une course en avant avec l’enrichissement de l’uranium et d’autres recherches bien au-delà des limites de l’accord initial.
POURQUOI NE PAS NÉGOCIER UN NOUVEL ACCORD
L’Iran a montré peu d’intérêt pour la recherche d’un accord à plus long terme. Même si un accord pouvait être conclu, Biden aurait du mal à le mettre en œuvre.
En vertu d’une loi américaine de 2015, tout nouvel accord offrant à l’Iran un allègement des sanctions devrait être approuvé par le Congrès, un processus qui serait lent et incertain. Au lieu de cela, la Maison-Blanche a indiqué qu’elle prévoyait de faire valoir que tout accord issu des pourparlers de Vienne serait simplement une « réadhésion » au JCPOA initial.
Cela pourrait éviter une bataille avec le Congrès, mais signifie que des aspects clés de l’accord initial, tels que les limites à l’enrichissement de l’uranium, expireraient en 2025. L’administration semble avoir conclu qu’un accord imparfait à court terme est préférable à rien du tout.
POURQUOI ISRAËL EST EN COLÈRE
Les dirigeants israéliens craignent que la brève durée de vie restante du JCPOA ne fasse pas grand-chose pour arrêter l’Iran à long terme, surtout après les progrès technologiques réalisés par l’Iran ces dernières années. On ne sait toujours pas si l’Iran devra même renoncer à son stock d’uranium enrichi.
Mais ils craignent également qu’avec l’assouplissement des sanctions et la libération de milliards de dollars d’avoirs désormais gelés, l’Iran ne dépense davantage pour armer et financer ses mandataires dans la région. Il s’agit notamment du groupe militant Hezbollah du Liban et des groupes Hamas et Jihad islamique dans la bande de Gaza.
« L’Iran va être plus à même de faire les choses qu’il faisait déjà, avec plus de ressources et de confiance, et peut-être d’immunité parce qu’il a signé un accord très important », a déclaré Yoel Guzansky, expert de l’Iran à l’Institut israélien d’études de sécurité nationale, un groupe de réflexion de Tel Aviv.
CE QUE DIT L’IRAN
L’Iran insiste depuis longtemps sur une levée complète des sanctions américaines imposées par l’administration Trump, alors que son économie ploie sous la pression de l’inflation et d’un crash monétaire. Téhéran a indiqué qu’il était prêt à revenir aux lignes rouges de l’accord sur l’enrichissement nucléaire, mais il veut avoir accès à 7 milliards de dollars d’actifs gelés et pouvoir vendre ses exportations de pétrole sans entrave.
L’Iran insiste également sur le fait qu’il a tout à fait le droit de poursuivre une énergie nucléaire pacifique. On pense généralement qu’Israël possède son propre arsenal nucléaire, bien qu’il ne l’ait jamais reconnu.
L’administration Biden n’a accordé que des dérogations limitées aux sanctions et affirme que ces mesures visent à faciliter les discussions afin que l’Iran se conforme à nouveau pleinement à l’accord.
Les médias iraniens reprochent fréquemment à Israël de chercher à faire échouer les pourparlers de Vienne et affirment qu’Israël a tenté d’exercer une pression maximale sur l’Iran en normalisant ses relations avec les Émirats arabes unis et Bahreïn, ainsi qu’en menant des attaques et des actes de sabotage contre l’Iran. Israël, à son tour, a accusé l’Iran d’attaquer des cargos liés à Israël et passant par la région.
L’International Crisis Group, une organisation autrefois dirigée par le principal négociateur américain, affirme que tout succès des pourparlers actuels « dépend encore de la volonté politique, principalement aux États-Unis et en Iran, d’accepter des compromis sur les points de désaccord restants, ce qui n’est nullement assuré ».
« Après des semaines de pourparlers intenses, nous sommes plus proches que jamais d’un accord. Mais rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu », a récemment déclaré Ali Bagheri Kani, le principal négociateur nucléaire iranien, cité par les médias iraniens.
CE QU’ISRAËL PEUT FAIRE
M. Guzansky, l’expert israélien de l’Iran, estime que l’avantage d’un accord est qu’il permet de « gagner du temps ». Selon lui, Israël devrait profiter des années à venir pour renforcer ses capacités militaires au cas où il devrait agir contre l’Iran. « Nous devons montrer nos muscles et nous préparer à utiliser cette option », a-t-il déclaré.
Il a également déclaré qu’Israël devrait renforcer ses nouvelles alliances avec les États arabes du Golfe, qui, même s’ils sont moins francs, se sentent également menacés par l’Iran. Israël a récemment signé un pacte de défense avec Bahreïn, a participé avec des dizaines de nations à un exercice naval dirigé par les États-Unis et envoie pour la première fois un attaché naval qui sera basé à la 5e flotte américaine à Bahreïn.
« Tout est lié », a déclaré M. Guzansky.
Crédits photo : Le Palais Coburg, où se déroulent à huis clos les négociations nucléaires en cours avec l’Iran, à Vienne, en Autriche, le 17 décembre 2021 (AP Photo/Michael Gruber).