« N’est-il pas temps de faire une croix sur les médiations occidentales ? », s’interroge Sébastien Boussois.
Il y a quelques jours, le Qatar a apporté son soutien au processus politique international de transition démocratique de la Libye, qui vise à sortir la nation nord-africaine d’une décennie de conflit. Cela participe d’une stratégie régionale bien huilée depuis des années, destinée à propulser Doha comme médiateur privilégié d’un certain nombre de crises persistantes du monde arabo-musulman. A l’image de ce que le Qatar a tenté entre les États-Unis et les talibans, récemment, pour résoudre le conflit sans fin en Afghanistan, depuis l’invasion de 2001.
Doha propose désormais son concours dans la résolution de la crise en Libye, qui n’a, depuis 2011, que trop duré. L’un de ses buts est de devenir le négociateur incontournable de ces crises à rallonge, du monde arabe à l’Afrique. Et pourquoi pas ?
Pragmatisme habituel
En accord avec la législation internationale, les officiels qataris n’ont pas manqué de se positionner, dernièrement, face à une situation confuse : « Nous soutenons le processus politique parrainé par l’ONU dans l’espoir qu’il préserve l’intégrité territoriale de la Libye et empêche toute ingérence étrangère dans ses affaires », a déclaré le ministre qatari des Affaires étrangères, Cheikh Mohammed ben Abdulrahman Al Thani, lors d’une visite dans la capitale libyenne, Tripoli. La preuve, une nouvelle fois, que Doha fait le choix du droit international, en dehors des rapports de force et de la realpolitik du moment. Et que son soutien pragmatique à certains courants, contre le chaos, peut renforcer sa légitimité.
Comme en Palestine, par exemple, avec le Hamas, et ce en vue d’une négociation « one to one » avec Tel-Aviv. En effet, l’aide du Qatar à Gaza, depuis des années, remise en lumière avec l’actualité récente, doit être comprise comme un soutien financier non pas au Hamas, parce qu’il s’agit du Hamas, mais bien à Gaza, le territoire, pour venir en aide à la population gazaouie. Et ce avec l’accord d’Israël – il faut le noter. De quoi prouver, quelque part, que le Qatar, de par ses alliances complexes et sa position de « go-between », peut jouer un rôle stratégique dans la médiation de certaines crises, pourvu que les parties veuillent parvenir à paix.
Toute l’agilité de la politique du Qatar, en Libye, comme dernièrement entre le Kenya et la Somalie, dont il a concouru à rétablir les relations diplomatiques, résidera dans son pragmatisme habituel, son recentrage au cœur des « puissants », la préservation de sa relation avec les États-Unis, sa capacité à ménager des alliés stratégiques du moment, comme l’Iran et la Turquie, tout en condamnant certaines de leurs actions dès l’instant où il ne sera pas d’accord.
Traces durables
La situation en Libye est plus tendue que jamais. Depuis novembre 2020 et le cessez-le-feu entre toutes les parties, comme l’engagement à la tenue d’élections avant novembre 2021, depuis Tunis, chaque puissance régionale y va de sa contribution à la paix : le gouvernement d’unité intérimaire de la Libye a vu le jour en mars 2021 – remplaçant deux administrations rivales, l’une basée dans la capitale Tripoli et l’autre dans l’est du pays – pour mener le pays aux élections de décembre tant attendues.
Dix ans après le renversement de Mouammar Kadhafi, la Libye est toujours dans l’incertitude, et bien loin du chemin rêvé de la démocratisation. La division du pays, la guerre civile, la longue lutte des deux gouvernements opposant Fayez el Sarraj, reconnu par les Nations unies et soutenu par la Turquie et le Qatar, au maréchal Khalifa Haftar, à la tête d’un gouvernement illégitime, mais soutenu notamment par la France, la Russie, l’Égypte, les Émirats arabes unis, laisseront des traces durables dans le pays.
L’objectif principal était de mettre en selle un gouvernement unifié, afin de tenter une résolution de la crise institutionnelle qui divise le pays en deux. Il faut des médiateurs influents, qui peuvent faire leur preuve. Des médiateurs qui face partie intégrante de la région, soit du continent africain soit du monde musulman. N’est-il pas temps de faire une croix sur les médiations internationales occidentales et donner leur chance aux puissances régionales, plus au fait des situations géopolitiques locales, afin de résoudre les conflits sans issue à ce jour ?
Les exemples se multiplient dernièrement, loin des négociations diplomatiques ou du vote de résolutions supplémentaires à New-York. Ce peut être telle ou telle puissance, comme dans la situation du Haut-Karabakh, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, où la Russie, qui a toute sa légitimité dans sa zone historique d’influence, a pu parvenir à un cessez-le-feu entre Erevan et Bakou. Il pourrait en être de même pour la crise libyenne, avec des puissances régionales influentes, comme la Turquie et le Qatar, afin de contribuer au mieux à la tenue d’élections à venir avant la fin de l’année. Et espérer un minimum de concorde civile d’ici là. Puis au-delà. Il faudrait, pour ce faire, que l’Occident accepte de déléguer sérieusement et intelligemment.
