L’affaire Khashoggi ou la prédominance de l’Arabie saoudite sur la scène internationale

Malgré les révélations d’un rapport onusien dans l’affaire Khashoggi, peu de chance pour que l’Arabie saoudite soit inquiétée.

Les plus hautes autorités saoudiennes, responsables du meurtre de Jamal Khashoggi, plume dissidente exilée aux Etats-Unis, le 2 octobre 2018 au sein du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul (Turquie) ? Tout le monde le subodorait (voire le savait), mais les relations internationales étant ce qu’elles sont, il était bien difficile de clamer haut et fort la culpabilité de Riyad. C’est désormais chose faite, depuis quelques jours et la remise d’un rapport fouillé par Agnès Callamard, rapporteure spéciale des Nations unies (ONU) sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, mercredi 19 juin.

Sanctions internationales

Après 6 mois d’enquête sur l’affaire, cette dernière en a la certitude : « M. Khashoggi a été la victime d’une exécution délibérée, préméditée, d’une exécution extrajudiciaire dont l’Etat d’Arabie saoudite est responsable en regard du droit international lié aux droits de l’Homme. » Avec, dans son viseur notamment, Mohamed ben Salman, quasi monarque avant l’heure, qui a la main sur tous les dossiers importants du royaume. Notamment celui qui intéresse la répression de toutes les voix discordantes du royaume – féministes, journalistes, activistes – dont faisait partie Jamal Khashoggi.

« L’opération contre M. Khashoggi doit être comprise en relation avec une campagne organisée et coordonnée contre des journalistes, des femmes activistes, des princes et des hommes d’affaires », a indiqué Agnès Callamard dans une interview à Orient XXI publiée le 19 juin dernier.

Le rapport, qui appelle à l’ouverture d’une enquête indépendante sur la responsabilité exacte du prince héritier, ainsi qu’à sa mise sous sanctions internationales (financières par exemple), est riche d’autres enseignements très intéressants. Comme, par exemple, le fait que les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (et la Turquie), qui ont envoyé chacun une délégation au procès fantoche se tenant à Riyad pour juger les assassins de Khashoggi, aient accepté de n’en rien révéler. Ceci, bien évidemment, pour satisfaire les autorités saoudiennes – avaient-elles des choses à se reprocher ?

Problème politique

« L’institution du Conseil de sécurité s’est rendue complice de ce qui pourrait bien être une erreur de justice », pointe ainsi du doigt le rapport. Qui met également directement en cause le patron de l’ONU, Antonio Guterres. Celui-ci a beau avoir dénoncé vivement le meurtre du journaliste, les raisons de son inaction, les mêmes que celles avancées (implicitement) par les Etats membres d’ailleurs, sont froidement implacables. Selon les experts, le problème relève davantage du politique que du juridique, la communauté internationale ayant clairement fait le choix de préserver ses bonnes relations avec Riyad.

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Autrement dit : si des mécanismes existent qui pourraient déclencher une enquête plus poussée sur l’affaire Khashoggi, celle-ci ne verra sans doute jamais le jour. L’Arabie saoudite est un poids lourd régional – voire international -, que ce soit en termes géopolitiques, énergétiques, économiques et même confessionnels ; l’indisposer, d’une manière ou d’une autre, reviendrait à braquer un allié indispensable – dans le dossier palestinien, par exemple, pour les Etats-Unis ; économiquement, pour la France. Exit, par conséquent, les missions d’enquête et autres tribunaux ad hoc dans l’affaire Khashoggi.

Cette « inaction » internationale, d’une certaine manière, doit interroger les consciences. Car pendant que les Etats batifolent avec l’Arabie saoudite, ses plus hautes instances assassinent, emprisonnent et mettent à sac un pays comme le Yémen. Ceci au nom d’intérêts impérieux comme le commerce extérieur ou le chiffre d’affaires de telle ou telle multinationale. N’est-il pas temps, au contraire, de reconsidérer nos rapports avec l’Arabie saoudite, en cessant par exemple de lui vendre des armes, alors que de plus en plus de pays remettent en question ce « commerce de la mort » ? Il semblerait que si.

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