L’Afrique du Nord face au défi de sa transition énergétique

Mariem Brahim, chercheuse, affirme dans une tribune que la transition énergétique au Maghreb appelle des réformes institutionnelles.

Avant la crise de Covid-19, ces pays d’Afrique du Nord se trouvaient déjà dans une situation économique désastreuse faute de réformes appropriées. C’est dans ce contexte économique déjà bien fragile qu’est donc venue se greffer la pandémie. Les effets négatifs du Covid-19 s’ajoutent aux effets négatifs de l’avant Covid-19. Une telle situation réclame à n’en pas douter des réformes institutionnelles. D’autant que la crise de 2007 avait déjà impacté les pays non-exportateurs de pétrole de la zone (Égypte, Tunisie, Maroc) avec une diminution de la croissance et une détérioration de leur compte-courant. Enfin, si elle bénéficie de ressources énergétiques importantes qui en font un état rentier, l’Algérie doit elle aussi s’engager dans des changements politiques.

Ses gouvernements tentent d’atténuer les dommages économiques avec des plans de relance, mais beaucoup partent d’une position faible. Les Banques centrales de la région ont abaissé leurs taux directeurs et annoncé leur intention de fournir des liquidités aux institutions financières, en particulier celles qui prêtent aux PME. Les pays de la région disposant d’un espace budgétaire limité pour accroître les services publics et soutenir les secteurs touchés (l’Algérie et la Tunisie) sont soumis à des pressions importantes. L’activité du secteur des services est la plus durement touchée en raison du confinement et de l’éloignement social. Les effets des mesures de limitation sur le secteur des services, qui emploie un grand nombre d’individus dans la région, entraîneront de vastes répercussions si le chômage augmente et si les salaires et les envois de fonds baissent. Les exportateurs d’hydrocarbures de la région sont directement touchés par la chute des prix du pétrole. Ils devraient enregistrer d’importants déficits budgétaires en raison de l’effondrement des recettes pétrolières, ce qui entraînera le creusement de la dette publique. Le secteur du tourisme nécessite une forte réactivité de la part des autorités.

La gestion de l’après-crise sanitaire ne doit pas uniquement se concentrer sur la dimension sociale. Il est important de donner aux opérateurs économiques les moyens d’accompagner les entreprises et les bénéficiaires du secteur financier. Il est non moins important que les banques, les sociétés de leasing, les institutions financières, les fonds d’investissement soient en bonne santé et capables d’accompagner dans les meilleures conditions les bénéficiaires. La crise a montré que les pays de l’Afrique du Nord n’ont pas, jusque-là, suffisamment investi dans le secteur des énergies renouvelables.

Accélérer la transition énergétique en continuant à améliorer, stabiliser et clarifier les cadres politiques et réglementaires ; dynamiser le financement des énergies renouvelables

La crise du Covid 19 peut constituer une opportunité pour les pays d’Afrique du Nord s’ils veulent réévaluer leurs stratégies énergétiques et accorder en particulier une plus grande place aux filières renouvelables (IEA, 2020). Alors que la nécessité d’une transformation du système énergétique s’accélère au niveau mondial, ils font d’ores et déjà de plus en plus d’efforts pour s’orienter vers davantage d’énergies propres. Mais, s’il s’agit de réagir face au changement climatique, ils doivent aussi répondre à une demande énergique croissante et créer de nouveaux emplois. Reste que la région dispose de nombreux atouts pour ce type de déploiement, lequel soustrairait notamment le Maroc et la Tunisie à leur dépendance par rapport aux carburants importés. Un potentiel qui a commencé à être exploité. Grâce à l’expansion rapide de l’éolien, du solaire photovoltaïque et du solaire thermique (IEA, 2020), l’électricité renouvelable en Afrique du Nord a augmenté de plus de 40%, au cours de la dernière décennie. Non seulement, les cinq pays ont mis en œuvre des mesures pour réduire l’intensité carbone de leurs économies mais ils ont établi des objectifs d’énergies renouvelables. D’ici à 2030, l’Algérie (0,7 GW en 2019) espère atteindre 22 gigawatts (GW) d’énergie renouvelable, le Maroc (3,74 GW en 2019) 10 GW, l’Egypte (5,5 GW en 2019) 54 GW d’ici à 2035. L’Égypte a déjà installé plusieurs industries appropriées à la chaîne de valeur de l’industrie solaire photovoltaïque, y compris la fabrication d’acier et de verre, ainsi que des usines de fabrication de pompes.

Le parcours de transition énergétique de ces pays est cependant influencé par des circonstances très différentes. La région englobe d’une part des pays exportateurs d’hydrocarbures (Algérie, Égypte et Mauritanie), ce qui les met à la merci de la chute des prix (Griffiths, 2017) mais rend possible une réduction progressive des subventions aux combustibles fossiles (Coady, Parry, Sears, & Shang, 2015) et, d’autre part, les pays lourdement dépendants des importations pour faire face à leur demande énergétique (Égypte, Maroc et Tunisie). Sont aussi très différents les contextes socio-économiques et politiques mais tous partagent des défis similaires en matière de changement climatique. L’Afrique du Nord voit s’épuiser ses réserves d’eau souterraine en lien avec sa croissance démographique. La montée des eaux marines inquiète, notamment dans le delta du Nil où le sel gagne du terrain. En Tunisie, presque 95% des terres arables sont affectées dans une certaine mesure par la désertification.

Mais, si tous les pays d’Afrique du Nord ont des objectifs en matière d’énergies renouvelables, leur réalisation dépend en fin de compte de la présence de cadres réglementaires sains et stables. Les investisseurs, notamment en Égypte, s’inquiètent des modifications répétitives des régimes de tarifs de rachat et des subventions aux combustibles fossiles. Au contraire, les investisseurs au Maroc, ont pour inquiétude majeure l’inexistence d’une autorité de régulation indépendante. Le défaut d’un contexte réglementaire évolué et adapté à la conjoncture actuelle persiste à empêcher ces investisseurs d’intervenir. Perfectionner le cadre réglementaire est donc impératif tout comme l’apport d’une assistance pour tous les aspects juridique et administratif aux sociétés internationales d’énergie qui envisagent d’investir. Pour les permis d’énergie renouvelable, il serait loisible d’instaurer des guichets uniques.

Les obstacles financiers, tels que la convertibilité des devises, l’inflation et le manque de réserves de change sont aussi des préoccupations pour les investisseurs dans presque tous les pays d’Afrique du Nord. La collaboration des banques demeure indispensable pour épauler et encourager les investisseurs internationaux, et ceci dans le but de diminuer les risques et augmenter la bancabilité des projets à grande échelle. Parallèlement, un engagement plus élargi des banques commerciales locales s’avère essentiel. En effet, la diversification des modèles et produits de financement et l’accroissement de la capacité des banques commerciales pour financer des projets d’énergie renouvelable est envisageable dans le cadre de cet engagement. Constituer des banques d’investissement vertes nationales ou régionales paraît le meilleur moyen pour incorporer un effet multiplicateur de marché et recourir à des outils permettant la réduction des risques financiers. Le principe fondamental est que pour diminuer les risques de financement, une banque verte s’appuie sur la crédibilité de l’État. Un nombre donné de besoins en capital à long terme du marché de l’électricité renouvelable peuvent être satisfaits par un segment de marché en croissance constitué d’obligations vertes. Il est possible également d’appliquer d’autres moyens pour corriger les lacunes de l’écosystème de financement des énergies propres. Un instrument islamique, semblable à la dette verte, conforme à la loi de Shariah, appelé le green sukuk est particulièrement pertinent pour la région dans la mesure où ses caractéristiques semblent correspondre au secteur de l’énergie renouvelable. L’incertitude (gharar), l’interdiction de spéculer (maysir) sont en effet compensées par la détention d’actifs (réels et non financiers) à long terme (40 ans).

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