Affaire Khashoggi : le silence (assourdissant) des agneaux

Chez les Occidentaux, seule l’Allemagne a semblé tenir la dragée haute à l’Arabie saoudite. Quant aux pays arabes : silence total.

Depuis l’annonce, début octobre, de l’assassinat de Jamal Khashoggi à Istanbul (Turquie), le dossier a connu un retentissement crescendo. Sans, toutefois, révéler de coupable « officiel » pour l’instant. Si le monde, à demi-mot, pointe du doigt le prince héritier, Mohamed ben Salman (dit « MBS »), l’impunité demeure le maître mot dans cette affaire, pour le moins symbolique. L’assassinat du journaliste ne constitue-t-il pas, en effet, une nouvelle tentative de mise en échec des Printemps arabes, que Jamal Khashoggi défendait d’ailleurs à travers ses tribunes – pour le Washington Post notamment – tout en bousculant le régime saoudien ?

Après avoir employé un discours de négation absolue et de rejet de toute responsabilité, les autorités saoudiennes ont fini par admettre que le journaliste était décédé à la suite d’une « rixe » qui avait mal tourné au sein du consulat saoudien. Version, au mieux, très partielle (partiale ?), au pire, très mensongère de la réalité. Car aux dernières nouvelles – la presse turque s’appuie notamment sur des enregistrements audio et vidéo -, il s’avère que l’assassinat de Jamal Khashoggi a bien été « prémédité », pour reprendre le terme utilisé hier par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’un discours au parlement. Où aucun nom n’a cependant fuité.

Ménager le prince héritier

Le chef de l’Etat s’est contenté d’apporter son soutien au roi Salman, dont il ne doute pas de la « sincérité », tout en taisant le nom de son fils, le prince héritier. Un flagrant délit de lâcheté de la part du président turc ? Dans les relations internationales, l’hypocrisie se manie sans modération ; mais on ne voit pas pourquoi M. Erdogan couvrirait les arrières de l’Arabie saoudite. Les deux pays, pas franchement amis, entretiennent des rapports courtois, au mieux – lorsqu’il s’agit d’économie surtout. Lâcheté, un terme semble-t-il bien valable, en revanche, pour les Occidentaux, dont certains entretiennent des liens diplomatiques et économiques puissants avec Riyad.

Si la chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré insuffisantes les explications avancées par le régime saoudien – et annoncé vouloir suspendre les exportations d’armements vers l’Arabie saoudite -, la France et les Etats-Unis sont apparus moins hostiles à l’égard des Saoudiens. Paris, qui a tardé à réagir une fois l’affaire Khashoggi révélée, tout comme Washington, ont souhaité ménager le prince héritier ; le président français, Emmanuel Macron, s’est même agacé, hier, après que des journalistes l’ont interrogé sur les ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite, l’Hexagone étant le deuxième fournisseur d’armement de Riyad. La question, d’ailleurs, fait polémique depuis plusieurs mois.

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« Sans le soutien des Etats-Unis »

Aucune condamnation ferme, donc ; aucune sanction à l’horizon, côté français et américain. Le pétrole du royaume et sa stabilité, stratégique au Moyen-Orient, semblent plus importants – pour Washington au moins – que les droits humains aux yeux des décideurs occidentaux. Et ceci, peu importe les révélations du président turc, qui a affirmé que son pays détenait les preuves que l’assassinat de Jamal Khashoggi avait été planifié. Quant aux pays arabes, ils ont observé la posture traditionnelle qui les caractérise : celle de l’autruche. Le monde sunnite a même fait bloc derrière l’Arabie saoudite, dénonçant par exemple la campagne de dénigrement vis-à-vis du régime saoudien.

Jordanie, Egypte, Bahreïn, Emirats arabes unis (EAU), Oman, Koweït, Palestine, Ligue arabe. Aucune déclaration négative à l’égard du prince héritier ou du royaume n’a été entendue chez ces derniers – qui bénéficient des largesses financières des Saoudiens, pour contrer l’Iran chiite dans la région notamment. Ce n’est donc vraisemblablement pas sur ces Etats qu’il faut compter pour adresser des remontrances à Riyad. Ce dont s’est chargée Téhéran, qui a même estimé que le « meurtre odieux » du journaliste saoudien était impensable « sans le soutien des Etats-Unis ». Attention, toutefois, aux conclusions hâtives : l’Iran méprise Riyad autant que Washington.

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Photo (AP/SIPA/Agence de presse saoudienne) : mardi 23 octobre, Mohamed ben Salman reçoit le fils de Jamal Khashoggi.

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