L’émancipation des femmes en Iran se fera contre l’islam d’Etat

Dans les sociétés à majorité musulmane, les femmes sont, juridiquement, inférieures, et l’islamisme les assujettit socialement.

La mort tragique de Mahsa Amini le 16 septembre 2022 en Iran, à la suite des coups reçus par la brigade des mœurs à cause de son « mauvais voile », entraîne un soulèvement d’un courage inouï de l’ensemble de la société iranienne qui vit depuis la révolution islamique, en 1979 –  qui marque le début de l’islamisme mondialisé –, dans une prison à ciel ouvert bâtie structurellement  sur le contrôle du corps des femmes, à travers leur voilement, et leur minorisation sacralisée par la « loi islamique » médiévale, la charî‘a, qui légitime la prééminence masculine.

Le voilement du corps des femmes, qui pour les moralistes de l’Antiquité païenne et des trois monothéismes est un symbole de pudeur et un marqueur sexuel d’infériorité signifiant qu’elles sont la propriété de l’époux et/ou du père, est fortement contesté notamment par les premières féministes iraniennes et arabes du début du XXe siècle qui s’en débarrassent en entraînant un dévoilement généralisé jusqu’à la fin des années 1970.

Jeunesses subversives

L’avènement de l’islamisme imposé par le haut, comme en Iran ou en Afghanistan, ou diffusé par le bas par les acteurs islamistes, comme en Egypte ou au sein des populations d’ascendance musulmane en Europe, s’accompagne partout par un voilement massif des jeunes filles et des femmes. En effet, l’islamisme mondialisé fait du voile islamique obligatoire – quand bien même aucun verset coranique ne mentionne la couverture de la chevelure féminine – son fer de lance en réduisant les rapports femmes/hommes à des corps sexualisés où les premières sont assimilées à des objets de désir à dissimuler et les deuxièmes réduits à des êtres incapables de contrôler leurs appétits sexuels. Les islamistes, en contextes islamiques et non-islamiques, réussissent à imposer leur thèse du voile obligatoire en opposant « la femme voilée pudique et vertueuse » à la « la femme non voilée impudique et pécheresse » tout en instrumentalisant les corps des femmes à travers leur voilement qui deviennent, bon gré mal gré, les porte-drapeaux de l’idéologie islamiste dont le projet de société se fonde sur la réorganisation des rapports genrés dans la perspective d’une morale sexuelle religieuse patriarcale. La philosophie du voile islamique imposé ou « choisi » – la culpabilisation religieuse, véhiculée par les discours islamistes, menaçant des flammes de l’enfer les croyantes qui ne se soumettent pas à cette contrainte vestimentaire féminine interroge sérieusement la notion du libre choix – aboutit à des inégalités sexuelles manifestes impliquant notamment l’interdiction pour les femmes d’avoir le moindre contact physique avec un individu de sexe opposé en dehors du cadre du mariage tandis que les hommes, via la légitimation de la polygamie, peuvent prétendre à une certaine liberté sexuelle. De plus, les femmes sont sommées de ne pas découvrir, dès la puberté, la plus petite parcelle de leur corps, en dehors du visage et des mains, et ce même pour une baignade publique, alors que les hommes peuvent s’abandonner librement, cheveux au vent et torse nu, aux plaisirs des caresses de l’air et des vagues sur leur peau.

Dans les sociétés à majorité musulmane, le succès du voile islamiste s’explique principalement par le fait que les femmes subissent un sévère contrôle de leur sexualité, à travers notamment l’impératif de la virginité avant le mariage, car elles ne sont pas encore considérées comme des individus libres, à part entière, mais sont toujours appréhendées comme des propriétés collectives qui représentent « l’honneur » de la famille, de la communauté et de l’Etat. Dans ces contextes, le droit des femmes à disposer librement de leur corps nécessite une véritable révolution mentale, culturelle et sexuelle se traduisant, entre autres, par le passage, dans les représentations et les pratiques sociales, de « la femme objet de désir » à un sujet désirant au même titre que les hommes pour aboutir à la célébration d’une sexualité libre, égalitaire et réciproque. A ce propos, depuis une dizaine d’années, des jeunesses subversives et forces démocratiques y revendiquent ouvertement les principes de la liberté et les droits sexuels en réclamant notamment la dépénalisation des relations sexuelles en dehors du mariage.

État de droit

En Iran et dans l’ensemble du monde musulman, les Codes de la famille et les Codes pénaux sont fondés sur l’ordre moral, sexuel et social et non sur les libertés individuelles. Aussi, les féministes y dénoncent depuis des décennies le sort des femmes qui sont prises en otage entre un islam d’Etat qui les infériorise juridiquement dès les indépendances, à travers les Codes de la famille issus de la charî‘a – qui entérine, entre autres, l’autorité maritale, la polygamie et l’inégalité successorale –, un islamisme qui les assujettit socialement en s’appuyant sur l’argument d’autorité religieuse, une morale sexuelle sociétale qui pèse sur leur corps et une absence de libertés programmée politiquement par les autorités non démocratiques en place. Ainsi, contrairement aux féministes islamiques – qui revendiquent une « égalité islamique » en se fondant sur le primat des sources religieuses –, les féministes laïques – qui réclament une égalité totale des sexes en se référant exclusivement aux valeurs universelles des droits humains – sont totalement conscientes que l’émancipation des femmes se fera contre l’islam d’Etat et l’islamisme bâtis tous deux sur des sources scripturaires médiévales qui sacralisent la supériorité masculine et ignorent les concepts modernes de l’égalité et de la citoyenneté. Cette contestation féministe laïque, en contextes islamiques, à l’égard de l’islam d’Etat et de l’islamisme ne s’oppose toutefois pas à l’islam culturel et spirituel des individus.

En Iran, depuis la mort de Mahsa Amini, des jeunes filles et des femmes brûlent héroïquement leurs voiles, inaugurant probablement la fin de l’islamisme mondialisé, et les Iraniennes et les Iraniens, toutes couches sociales et générations confondues, manifestent massivement, au péril de leurs vies, pour revendiquer la liberté, l’égalité et la démocratie.

C’est pourquoi, l’ONU, les gouvernements démocratiques et la communauté internationale doivent impérativement contraindre l’Etat théocratique sanguinaire iranien à cesser immédiatement sa politique répressive à l’égard de son peuple.

Enfin, l’ensemble des régimes musulmans et des autorités non démocratiques gagneraient à instaurer une véritable démocratie fondée sur les libertés individuelles et l’égalité totale et indifférenciée des sexes.

 

Crédits photo : Des Iraniennes prennent des photos en 1999.

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