Liban : « Saad Hariri n’a pas les moyens de s’opposer au Hezbollah »

Pour Antoine Ajoury, journaliste à L’Orient-Le Jour, le Liban n’a rien à attendre du retour de son Premier ministre, qui devrait tout de même chercher à affaiblir le « parti de Dieu ».

Si le Liban a retrouvé un semblant de sérénité, les prochaines semaines s’annoncent cruciales pour le pays du Cèdre. Saad Hariri, le Premier ministre qui avait annoncé sa démission depuis Riyad (Arabie saoudite) le 4 novembre dernier, a déclaré mercredi, lors de la fête de l’Indépendance, qu’il remettait cette décision à plus tard. Le temps pour lui de s’entretenir avec toutes les forces politiques du pays. Le but ? Revoir les rapports de force au sein du gouvernement, auquel participent les sunnites du Courant du Futur (le parti politique de Saad Hariri) ainsi que les chiites du Hezbollah (mouvement pro-Iran), afin de faire « passer en premier les intérêts du Liban avant de s’intéresser aux problèmes qui nous entourent. »

Même son de cloche du côté du président de la République, Michel Aoun, qui a appelé les Libanais à l’ « unité » et à se tenir éloignés de la dissension, qui « provoquerait une destruction totale qui n’épargnerait personne ». Dans leur viseur, la cible est toute désignée : le Hezbollah, accusé « de financer et d’entraîner des groupes terroristes » dans le pays et la région selon M. Aoun. Le « parti de Dieu » est effectivement régulièrement montré du doigt, surtout ces dernières semaines, pour ses ingérences dans les conflits régionaux – en Syrie et au Yémen notamment – et son rôle controversé à l’intérieur du Liban. Antoine Ajoury, journaliste et responsable du service International à L’Orient-Le Jour, revient pour Le Monde arabe sur la situation au Liban et notamment le poids du Hezbollah dans les affaires internes.

On a présenté la démission de Saad Hariri comme un coup de Riyad. Quelle lecture en faites-vous ?

C’est effectivement un coup de Riyad. La question est de savoir si c’est un coup réussi ou raté. Il est évident que l’Arabie saoudite a fait pression sur le Premier ministre libanais pour qu’il démissionne depuis Riyad. Les termes belliqueux contre l’Iran et le Hezbollah sont étrangers à Saad Hariri, considéré comme  une « colombe », et qui a tout fait pour calmer le jeu, pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. Sa conférence de presse, ses contacts avec la France et l’Egypte et enfin sa décision de reporter sa démission semblent confirmer sa volonté de ne pas déstabiliser le Liban.

 Qu’entendez-vous par « un coup réussi ou raté » ?

On reproche souvent au prince héritier et homme fort de l’Arabie saoudite, Mohamed ben Salman, son impulsivité et sa stature va-t-en-guerre. Il faut donc examiner les résultats de ce coup : pour certains, c’était un coup dans l’eau, Saad Hariri étant revenu au Liban et sur sa démission. Rien n’a changé. Pour d’autres, il a créé une dynamique internationale (France/Etats-Unis/Israël) qui doit à présent trouver les moyens nécessaires pour faire pression sur le Hezbollah, afin de réduire sa mainmise sur le Liban d’une part, et de le pousser à arrêter ses interventions dans les pays du Golfe (Bahreïn, Koweït, Yémen) d’autre part.

La « démission » de M. Hariri a-t-elle fédéré les différents partis politique ou au contraire attisé le ressentiment à l’encontre des chiites ?

Les deux ! Elle a fédéré les Libanais derrière Saad Hariri. Mais selon des grilles de lecture différentes. Certains étaient censés soutenir leur Premier ministre « séquestré à Riyad » alors que d’autres ont défendu sa position ferme contre la politique du Hezbollah. Les sentiments anti-chiites, ou plutôt anti-Hezbollah et anti-Iran, ne sont pas nouveaux. C’est l’action arrogante et unilatérale du « parti de Dieu » qui est critiquée et non pas la communauté chiite. En revanche, les dissensions ont eu lieu au sein de cette partie entre ceux qui veulent utiliser la manière forte contre le Hezbollah et ceux qui veulent être plus pragmatiques.

Le Hezbollah est-il réellement cet « Etat dans l’Etat » dont on parle ?

Le Hezbollah est d’abord un parti islamiste radical chiite lié à l’Iran par le principe du Velayat-e faqih [principe théologique développé par l’ayatollah Khomeiny qui confère au religieux la primauté sur le politique, ndlr]. Son idéologie conservatrice – concernant l’alcool, la division homme/femme, le voile, etc. – combinée à une milice lourdement armée et fortement entraînée pose plusieurs problèmes au Liban. Selon Max Weber, l’Etat a le monopole de la contrainte légitime ; quand un parti politique, avec sa branche armée, a son propre agenda qui diverge de celui de l’Etat, reçoit armes, argent et ordres d’un pays tiers et a des activités militaires dans plusieurs autres pays, le jeu politique devient biaisé. Son rôle présumé dans plusieurs affaires au Bahreïn, au Koweït et au Yémen, sans oublier son intervention militaire en Syrie et en Irak, sont très controversés et ne font pas l’unanimité.

Qu’attendre du retour de Saad Hariri au Liban ?

Si l’on veut être pessimiste, rien. Il n’a pas les moyens de s’opposer au Hezbollah. Il continuera tout au plus de gérer le statu quo au Liban qui consiste à jongler entre les pressions arabes et occidentales pour affaiblir le Hezbollah et les frustrations internes d’une partie de la population, notamment sunnite, afin d’éviter un conflit communautaire au Liban. Mais jusqu’à quand ?

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