L’insupportable féminité dans une société algérienne patriarcale et complexée

L’affaire de la statue de la « belle dame » vandalisée à Sétif est la parfaite métaphore d’une société qui brutalise encore la femme aujourd’hui.

La scène s’est passée à Sétif, dans l’est algérien, mercredi dernier. Un détraqué a décidé de faire subir à une statue en place depuis des décennies une ablation des seins en public. Quoi de plus normal, après tout, dans un pays où les femmes subissent, au quotidien, une violence d’un autre genre – harcèlement, discrimination, agressions et marginalisation ? Quoi de plus normal, dans un pays où tout ce que l’on voit d’une femme, ce sont ses courbes et sa plastique ? Quoi de plus normal, enfin, dans une société traditionnellement sexiste où il n’a jamais fait bon être femme, où l’on se sent gênée d’avoir des formes, des idées et d’exister ?

Un objet qui dérange

En l’espèce, ce n’est pas tant le caractère isolé de l’acte qui est frappant, que les réactions quelques fois hypocrites des Algériens sur les réseaux sociaux qui éclusent des torrents de bile. Au milieu de ces reflux amers, il est facile de se laisser aller sur la toile et de sortir ses crocs ; condamner – bel esprit – cet acte méprisable ne suscite pas pour autant de saines colères.

Ces mêmes personnes qui s’indignent pour une statue de femme nue saccagée par un fanatique ne s’indignent pas forcément à la vue d’une femme se faisant harceler, d’une enfant voilée ou d’une jeune femme contrainte de se marier. Qui d’entre eux s’indignerait notamment sur le poids des traditions qui ne cessent d’étreindre des Algériennes en quête de liberté et d’égalité ?

Le fait qu’un fanatique ait, pour une raison inconnue, saccagé une statue de femme nue, représentant le supplément d’âme de ce monde de brutes et la pierre angulaire de toute société, l’art dans toute sa splendeur, ne peut être considéré comme un acte individuel dans une société arabe. C’est là le résultat du laxisme qui sévit depuis toujours dans nos contrées machistes et une image qui en dit long sur l’image de la femme chez nous : un objet qui dérange, qu’il faut « couvrir », « cacher », « étouffer », « rayer », « déformer ».

Conscience collective

D’ailleurs, la femme chez nous est agressée à tout va et partout, qu’elle soit voilée ou pas, qu’elle soit mariée ou non. Depuis petites, les femmes subissent la pression de leur entourage : de l’école à l’Université, puis lors du mariage, entre la vie conjugale et les enfants. Un cycle immuable d’obligations et de contraintes.

Très peu de femmes ont le courage d’assumer leurs choix en Algérie, victimes de stéréotypes, otages des traditions et de l’excès de testostérone dans l’air qui fait croitre la violence sociale, le désir de domination et de pouvoir étant un caractère essentiellement masculin. Les hommes réagissent violemment et commettent plus d’homicides que les femmes. La féminisation de la société ne ferait-elle pas au contraire qu’adoucir les mœurs et reculer la violence ? La question – loin d’être aussi manichéenne – mérite plus que jamais d’être posée.

Toutefois, il semblerait bien que ce triptyque ne soit pas totalement univoque dans la mesure où la violence sociale accroit à son tour la masculinisation de la société et la discrimination par le genre. La décennie noire qu’a vécu l’Algérie et la montée de la violence a nui davantage à la condition féminine dans ce pays. Et les groupes islamistes qui ont perdu le pouvoir ont tout de même réussi à limiter les capacités de la société à s’ouvrir et à remettre en cause ses propres dogmes. C’est parce que, de l’autre côté, très peu de production intellectuelle locale soutient réellement et objectivement les efforts d’ouverture. En réalité, seuls les prêches enflammés résonnent encore au fin fond de la conscience collective et populaire.

« Mâle en chaleur »

A première vue, la femme algérienne mène une vie ordinaire, et elle ne semble pas avoir grand-chose à envier à la femme européenne ou tunisienne par exemple. Pourtant, vivre en Algérie convainc du contraire ; la vie de la femme y est encore conditionnée par celle de l’homme, son ascension en est tributaire et sa liberté en dépend. En matière de droits de la femme, force est de constater que la législation algérienne a encore du chemin à faire ; le pays autorise encore la polygamie, interdit toujours l’avortement, interdit à la femme de se marier sans l’accord de son tuteur et ne réserve pas de lourdes sanctions au harcèlement. Le tableau est dressé.

Sur le plan judiciaire, à présent, très peu de plaintes de harcèlement ont abouti. L’accusation se retourne contre les femmes, dans ce type de sociétés patriarcales, qui sont rapidement montrées du doigt : tenue vestimentaire pas correcte, attitude désinvolte, mœurs douteuses, etc. Tant d’accusations à géométrie variable, difficiles à prouver sauf dans l’imaginaire complexé du « mâle en chaleur ».

Femmes leaders

C’est donc tout ce système archaïque qu’il va falloir réformer – mais peut-on réformer la conscience humaine ? Le regard porté sur la femme doit évoluer et les jeunes femmes algériennes doivent être en mesure de s’auto-réaliser et de voler de leurs propres ailes, car elles portent en elles l’avenir de ce pays qui reste, pour l’instant, flou. En font-elles assez pour que ce combat devienne une vraie réalité sociétale ? Pas si sûre hélas. Et, quelque part, la statue de Sétif nous le rappelle.

S’il faut réellement s’indigner aujourd’hui, après l’incident, c’est aussi bien sur le fond du problème que sur la forme. Car la statue saccagée n’est que la forme du mal, c’est l’absence d’une véritable lutte féministe, le manque de femmes leaders dans la société algérienne et la faiblesse du combat mené par quelques unes qui en est l’origine. Les résolutions pour 2018 peuvent se prendre dès à présent.

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