En Syrie, « il y a une lueur d’espoir aujourd’hui »

Après trois jours de négociations, le Conseil de sécurité de l’ONU a enfin voté un cessez-le-feu de 30 jours en Syrie.

Près d’une semaine après le déclenchement d’une violente campagne de bombardements, la Ghouta orientale va enfin pouvoir panser ses plaies. Samedi, le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) a adopté à l’unanimité la résolution 2401, demandant un cessez-le-feu national d’au moins 30 jours en Syrie, ainsi que des demandes de convois d’aide hebdomadaires, des évacuations sanitaires et la levée immédiate des sièges. En particulier dans le fief rebelle à l’est de Damas – l’un des derniers du pays -, où les bombes du régime syrien, épaulé par la Russie, ont déjà fait plus de 500 morts et 2 000 blessés en moins d’une semaine.

Délai « irréaliste »

Dans la soirée, les réactions se sont succédées pour saluer le vote d’une trêve humanitaire plus que nécessaire, alors que près de 400 000 personnes se trouvent actuellement dans la Ghouta orientale. Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, s’est félicité de « la résolution du Conseil de sécurité sur un cessez-le-feu en Syrie et [a appelé] toutes les parties à autoriser l’acheminement immédiat de l’aide humanitaire ». Stefan Löfven, le Premier ministre suédois – dont le pays était avec le Koweït à l’origine du texte mis aux voix -, a souligné de son côté « l’espoir [enfin permis] de soulagement pour les gens abattus de Syrie », tout en précisant que « l’horreur doit cesser ».

Panos Moumtzis, le coordinateur régionale de l’ONU pour la crise syrienne, a quant à lui tenu à dire « un grand merci à la diplomatie habile de la Suède et du Koweït, qui ont négocié avec succès la résolution et apporté humanité et espoir à la vie du peuple syrien. » Ce qui importe, à présent, selon lui ? « L’arrêt des hostilités, l’acheminement de nourriture et de fournitures médicales, ainsi que la mise en place des évacuation sanitaires ». Et ce de manière « immédiate », a-t-il précisé, alors qu’on ne savait pas encore, samedi soir, quand rentrerait en vigueur la résolution. Si Washington a exigé que le cessez-le-feu intervienne le plus rapidement possible, Moscou a jugé cette solution « irréaliste ».

« Une épreuve de force »

Malgré le vote à l’unanimité de la résolution, les diplomaties américaine et russe se sont d’ailleurs écharpées au sujet de la Syrie, la première accusant la seconde de soutenir aveuglément le régime syrien et de retarder ainsi l’arrivée de l’aide humanitaire. « Pendant les trois jours qu’il nous a fallu pour adopter cette résolution, combien de mères ont perdu leurs enfants à cause des bombardements ? » s’est ainsi emportée l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley. « Les Etats-Unis devraient s’efforcer de mettre fin à la guerre au lieu d’intensifier la rhétorique contre la Russie » a rétorqué son homologue russe, Vassily Nebenzia.

D’après un diplomate du Conseil de sécurité, cité par le Washington Post, le vote de la résolution a même « fini par être une épreuve de force » entre les deux parties, alors que Moscou avait déjà fait échouer deux tentatives en 48 heures, pour permettre à Damas de poursuivre son offensive contre les rebelles, selon « certains diplomates ». Une première, jeudi, M. Nebenzia estimant que le texte n’était « pas réaliste dans sa forme actuelle » et exigeant par conséquent de nouveaux amendements ; une seconde, vendredi, le Conseil de sécurité ne parvenant pas à mettre d’accord la Russie, qui a d’ores et déjà utilisé à 11 reprises son veto pour défendre le régime de Bachar al-Assad, dont elle est, avec l’Iran, le soutien le plus précieux.

James Denselow, spécialiste du Moyen-Orient, fait partie du Foreign Policy Centre, un think tank britannique.

« Conditions extrêmes »

Le représentant russe à l’ONU jugeait « utopique » la volonté d’instaurer un cessez-le-feu immédiatement, tout en pointant du doigt les « discours catastrophiques » des médias ne reflétant pas la réalité. Ceci alors que de nombreuses personnalités, ces derniers jours, ont alerté sur la dégradation de la situation humanitaire dans la Ghouta orientale. Jeudi, Nina Walsh, d’Amnesty International France, a par exemple cité « des cas de malnutrition grave » concernant notamment des « enfants [qui] sont en train de mourir de faim », quand le chef des affaires humanitaires de l’ONU, Mark Lowcock, a récemment évoqué un « enfer sur Terre » pour parler de la zone bombardée.

Certaines ONG humanitaires, comme Médecins sans frontières (MSF), ont de leur côté appelé à une trêve de toute urgence, notamment parce que les conditions ne leur permettaient plus de travailler convenablement – de nombreux hôpitaux étant volontairement pris pour cible par le régime syrien, d’après certains observateurs. « Depuis le début de l’offensive, 13 structures soutenues par MSF ont été touchées par des bombardements. Le personnel médical sur place travaille sans relâche depuis six jours, dans des conditions extrêmes ne lui permettant pas de traiter les patients de manière adéquate » alertait effectivement l’association médicale vendredi dernier.

« Moment fragile »

Le même jour, dans l’après-midi, après l’échec d’une première tentative de vote, le chef de l’Etat français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont conjointement exhorté la Russie à « exercer pleinement ses responsabilités […] afin qu’une aide puisse être apportée aux populations civiles et que des évacuations sanitaires d’urgence puissent avoir lieu. » L’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley, de les suivre en affirmant qu’il était « incroyable que la Russie retarde le vote sur un cessez-le-feu permettant l’accès humanitaire en Syrie. » Dans le même temps, l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) indiquait que 32 civils venaient de se faire tuer dans des bombardements.

« Ce n’est pas le moment de se féliciter » a ainsi déclaré Stephen Hickey, un membre de la mission britannique auprès des Nations unies, peu après le vote hier soir. « Alors que nous nous disputions sur des virgules, les avions d’Assad tuent plus de gens chez eux et dans leurs hôpitaux, imposant des souffrances insupportables » a-t-il ajouté. Pas de triomphalisme, donc, même si pour Panos Moumtzis, le coordinateur régionale de l’ONU pour la crise syrienne, le Conseil de sécurité a montré sa « face humaine » en adoptant la résolution. Certains se laissant même aller à penser que la trêve pourrait donner un élan aux pourparlers politiques, en Syrie, et à la fin de la guerre. « Il y a une lueur d’espoir aujourd’hui » a affirmé François Delattre, le représentant de la France à l’ONU« Profitons de ce moment fragile. »

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« Donner des ordres à la Syrie »

Au sujet de l’entrée en vigueur effective du cessez-le-feu, cependant, le diplomate français a rappelé que « chaque minute compte, car chaque minute peut faire basculer des vies. […] Il revient maintenant aux soutiens du régime de faire assurer sans délai le plein respect de la cessation des hostilités et de répondre à toutes les demandes d’accès d’assistance humanitaire et aux évacuations médicales » a-t-il ajouté, ciblant « les garants du processus d’Astana », à savoir la Russie et l’Iran. Ce à quoi l’ambassadeur syrien à l’ONU, Bachar Jaafari, a répondu que « les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France tentent indûment de donner des ordres à la Syrie [dont le] gouvernement a le droit de se défendre. » Damas considérant en effet les rebelles retranchés dans la Ghouta orientale comme des terroristes.

Il y a quelques jours, Michael Jansen, spécialiste du Moyen-Orient et analyste pour le compte du quotidien Irish Times, expliquait que si « les deux principales factions qui divisent l’enclave entre elles sont Faylaq al-Rahman et Jaich al-Islam, parrainé par les Saoudiens […] »« des éléments d’une branche d’Al-Qaïda, Tahrir al-Cham et Ahrar al-Cham, jouent également des rôles clés dans la région » – le premier participant également, aux côté de la Turquie, à la lutte contre les Kurdes dans l’enclave syrienne d’Afrin (nord-ouest). Or, la toute nouvelle résolution 2401 prévoit une exception au cessez-le-feu pour les opérations militaires contre les groupes djihadistes. De quoi légitimer la poursuite des frappes du régime syrien ? « Nous exerçons le droit souverain de légitime défense à l’intérieur de nos frontières nationales » a simplement déclaré M. Jaafari, laissant penser que la trêve humanitaire est loin d’être gagnée.

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