Ce week-end, les Algériens sont enfin sortis du silence de plomb qui les enivrait jusqu’à présent, pour exiger la démocratie.
Il y a trois ans, j’avais écrit une chronique intitulée : « Non, Bouteflika n’est pas malade, c’est son peuple qui l’est ». Ni plus ni moins qu’un coup de gueule contre le silence et le laxisme du peuple, lors de l’ « élection du 4ème mandat ». Aussi, par honnêteté intellectuelle, je me dois de mettre à jour mon article. Car le peuple est guéri.
La « Mecque des révolutionnaires »
Il est guéri, et inutile de voir la tournure que prendront les prochains événements pour en déduire que, peu importe si ce système – qui nous met de côté depuis des années – tombe ou pas, le plus important n’est pas de savoir qui siègera au Parlement ou qui occupera le palais d’El Mouradia, mais plutôt : qui investira la rue ?
A cette question nous avons eu, ce week-end, une belle réponse, lorsque femmes, hommes, enfants, jeunes et vieux, ont repris ce qui leur revenait de droit, là ou l’histoire de leur pays s’est écrite. La rue. On nous croyait morts, léthargiques et inertes, mais il n’en est rien. Nous sommes vivants. Peut-être reculions-nous tout simplement pour mieux sauter.
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Quiconque connait l’histoire de l’Algérie le sait : la résistance ne nous a jamais fait peur ; le colon, le terrorisme, les guerres, nous connaissons. Comment croire dès lors qu’une bande de mafieux lâches et sans conscience, voulant transformer la République en monarchie en violant la Constitution, pourrait stopper l’élan collectif des Algériens ?
Pensaient-ils vraiment que leur mandat de trop passerait comme une lettre à la poste en décidant de nous marcher sur le corps et d’imposer un cadre géant en guise de président ? L’Algérie est bel et bien la « Mecque des révolutionnaires », son peuple vient de le prouver une fois encore au monde, à qui il a également donné une leçon de civisme et de conscience.
Démocratie
Des manifestations solidaires, pacifiques, sans heurts, avec une ambiance « bon enfant ». Les jeunes n’ont-ils pas nettoyé les lieux après les manifestations, et offert des fleurs aux forces de l’ordre ? Un mot revenait régulièrement, dans les conversations, après ces journées : « Fierté ». Même si, au fond, nous n’avons jamais cessé de l’être. Fiers.
Les Algériens se sont toujours révoltés contre l’injustice, ils ont toujours ouvert leurs bras aux peuples opprimés et, aujourd’hui, c’est la rue qui les ouvre pour accueillir de nouveau leur révolution. Partant, le deal, à court terme, n’est pas le départ d’Abdelaziz Bouteflika, ni la chute du système. Mais de préserver cette volonté populaire naissante. Et notre dignité.
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Certains verront beaucoup de surenchère dans cet écrit. Mais, pour rappel, cela fait plusieurs années (décennies ?) que nous attendons cela. Et avons bien droit à l’euphorie du moment. A présent, ne nous jugez pas, mais ne nous félicitez pas non plus ; vous n’avez pas à nous dire « bravo », comme certains dirigeants occidentaux seront tentés de le faire. Aucune récupération politique.
Nous sommes guéris, voilà la seule et grande nouvelle. Nous sommes enfin sortis de ce silence, hérité d’un Etat comateux – à l’image de Bouteflika, tout simplement -, lui-même provoqué par la guerre civile. Certains désirent aveuglément le pouvoir ? souhaitent sucer notre sang et notre sueur d’espoir ? Nous désirons simplement la démocratie. Et nous la méritons.

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.