Au Maghreb, « si ça va mal, c’est d’abord de notre faute ! »

Salim Zerrouki vient de publier une bande dessinée sur et pour les Maghrébins, où il énumère certains « travers » de la société arabe.

Dans la bande dessinée « 100 % Bled, comment se débarrasser de nous pour un monde meilleur » (Ed. encre de nuit), qui vient de paraitre en France, Salim Zerrouki use d’un humour noir et grinçant – de l’autodérision également – pour exposer les travers des Arabes au Maghreb. Mais également faire réfléchir un Occident souvent prompt aux jugements à l’emporte-pièce, concernant ces sociétés, sur lesquelles l’auteur algérien a par ailleurs posé « un regard tout plein de tendresse, d’humour et d’amour. » 

« Nous, les Arabes, on pense éternellement être victimes d’un complot manigancé par l’Occident pour nous anéantir. Et c’est à cause de cette conspiration qui se trame dans notre dos qu’on justifie nos échecs et notre sous-développement » explique-t-il par ailleurs. Avant de s’interroger : « Et si le problème venait de nous ? Et si l’image qu’on se fait de nous en Occident était méritée ? ». Réponse dans ces 60 pages, pour autant de « travers » – du « trottoir » au « tri des poubelles » en passant par le « commérage ». Et quelques bribes de réponses ci-dessous, dans l’interview que Salim Zerrouki a accordée au Monde arabe.

LMA : Pourquoi avoir choisi la France comme pays de publication pour une BD qui parle des « Arabes » ?

Salim Zerrouki : Juste un petit éclaircissement, je l’explique clairement dans le mode d’emploi de cette BD : les Arabes dont je parle sont les Maghrébins et non les Arabes du Moyen-Orient. Le mot « arabe » utilisé dans cette BD fait référence au nom donné par le colon pour désigner les autochtones du Maghreb et non « l’Arabe » du Moyen-Orient. Donc c’est une BD sur et pour les Maghrébins, et nous savons combien ils sont nombreux en France – et plus largement en Europe. Ensuite, cette BD n’est pas publiée uniquement en France, elle est aussi diffusée pour l’instant en Suisse et en Belgique et sera début avril en Tunisie, puis en Algérie et au Maroc. Elle est sortie en premier en France pour une simple raison technique, c’est que la BD a été imprimée en Europe donc elle est arrivée plus rapidement en France. En ce moment elle est au port de Tunis.

Dans votre ouvrage, la société arabe est critiquée et présentée comme une société sous-développée. Selon vous, pourquoi en est-elle là aujourd’hui ?

Je n’ai jamais tenu ce genre de propos, ce sont les vôtres. Mais tout d’abord, pour bien mettre les choses au point, cette BD est humoristique. Certes c’est de l’humour noir, mais c’est avant tout de l’autodérision où toutes les situations et lectures du quotidien des sociétés maghrébines sont nettement exagérées – mais tellement réelles parfois. C’est mon regard sur ces sociétés, avant tout plein de tendresse, d’humour et d’amour, dans lequel j’essaie d’énumérer les travers, pour essayer de mettre ces sujets sur le tapis, pour qu’il y ait une prise de conscience, en espérant faire évoluer les choses.

A votre avis, aujourd’hui, pourquoi certaines choses vont mal ? Tout simplement parce qu’on ne se remet jamais en question. Par exemple, quand je croque le thème du code de la route et que je dis « il y en a qui roulent à droite, il y en a qui roulent à gauche », je ne suis pas si loin de la réalité. Ou quand je dis « chez nous il n’y a que la femme qui est assez stupide pour travailler », vous ne pensez pas que c’est plein de tendresse et de respect pour ma mère, ma femme et les femmes en général ? Et quand je conclue cette planche par « les arabes ne trouveront plus aucune femme à épouser », je n’alerte pas mes compatriotes masculins ?

Et comment se porte l’art dans ces sociétés ?

Je vais vous donner mon avis en tant que simple mortel, je n’ai nullement les capacités intellectuelles pour répondre à cette question ; il faudrait la poser à un critique d’art ou à un sociologue. Mais personnellement je pense que l’art est indissociable du bien-être et de l’équilibre d’une société. Chez nous l’art n’est pas aussi bien portant qu’en Occident, non par manque de talents ou d’une énergie créatrice ou d’un esprit critique, mais juste par ignorance et volonté de nos dirigeants.

N’avez-vous pas peur des réactions qu’engendrera votre BD ?

Que celui qui pense le contraire me jette la première pierre. Tous ceux qui vivent ou connaissent le Maghreb savent bien que les thèmes abordés dans cette BD sont tous justes. Que l’on soit d’accord ou pas, c’est discutable, mais chez nous on critique à tout-va de toutes façons ; je sais que cela ne plaira pas à certains et qu’on m’accusera de traitrise, mais bon ce que je pense je l’ai dit, maintenant j’assume.

Est-ce abusé de parler de corruption, de guerre, d’amour, d’éducation, d’homosexualité, d’égalité ? Dans nos sociétés maghrébines, pas du tout ; ce sont des débats de tous les jours dans la rue, les postes de police, les assemblées… Et ce sont ces débats qui donnent l’espoir d’évoluer. Avec ma BD j’apporte ma contribution et quelques idées. J’espère qu’elle se vendra mais que, surtout, les Maghrébins prennent conscience que, si ça va mal, c’est d’abord de notre faute ! Et c’est à nous de réfléchir pour faire évoluer notre société vers un modèle meilleur, propre à nous, à nos traditions, à notre histoire.

Propos recueillis par Mounira Elbouti

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