Arabie saoudite : comment devenir l’oasis du divertissement lorsque l’on interdit de danser ?

Riyad a compris qu’elle devait abandonner ses traditions rigoristes. Son économie, notamment, a besoin de changement.

En 2017, l’artiste saoudien Abdu annonçait son intention de donner un concert à Jeddah, le premier autorisé en Arabie saoudite depuis 24 ans. Et, bien que la représentation ait été annulée in extremis, donnait le « La » pour de nombreuses stars – Tamer Hosny, une star égyptienne très populaire au Moyen-Orient, Mariah Carey, le rappeur Nelly, l’artiste libanaise Hiba Tawaji, ou encore le compositeur grec Yanni…

En deux ans, le plus grand pays de la Péninsule arabique a ainsi tout fait pour réunir les figures internationales de la chanson et du « showbiz », dans le cadre du plan « Vision 2030 », qui vise à faire évoluer le pays vers une économie diversifiée, plus ouverte, industrialisée et modernisée. Cette vague de réformes, qui doit s’appuyer sur la jeunesse – celle-ci constituant près de 70 % de la population saoudienne -, comprend un important volet de promotion de la culture et des divertissements. Une sphère longtemps très réglementée en Arabie saoudite. Effet d’annonce ou réalité ? Quel impact sur l’Arabie saoudite ?

« Nobles sentiments »

Mohamed ben Salman (dit « MBS »), le prince héritier saoudien, cherche à redorer l’image du royaume wahhabite, pointé du doigt pour ses pratiques rigoristes portant atteinte aux droits de l’Homme et mettant à mal la condition des femmes. Le jeune leader n’hésite d’ailleurs pas à aller à l’encontre des normes établies depuis des millénaires pour atteindre cet objectif. Il convient de créer des lieux ouverts, dédiés aux « nouvelles » pratiques culturelles ? D’ici 2030, les autorités prévoient la construction de quelque 241 musées, auxquels s’ajouteront des salles de cinéma (environ 1 900 à la même échéance) qui accueilleront des événements culturels en tout genre.

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Cette politique d’ouverture, très calculée, s’affirme par des symboles. Ainsi, le 18 avril 2018, le pays a rallumé ses écrans de cinéma, à Riyad, avec le dernier-né des studios Marvel, Black Panther. Un choix qui n’est pas anodin, le film véhiculant des valeurs familiales, éthiques et de « nobles sentiments ». (Notons néanmoins que certaines scènes du film ont été soumises à la censure, notamment celles qui montraient des rapports sexuels, et donc supprimées.) Toujours est-il que la réforme engagée devrait permettre d’étendre les pratiques culturelles dans tout le pays, ainsi que la diffusion artistique étrangère – occidentale en particulier.

« Happy fews »

Ceci étant dit, reste un obstacle de taille : l’écart entre l’Arabie saoudite actuelle et les nouvelles pratiques souhaitées. Car favoriser l’épanouissement des citoyens grâce à la culture ne peut être rendu possible qu’en mettant fin à certaines interdictions. Rappelons qu’écouter de la musique dans des lieux publics reste interdit dans le royaume, l’un des rares à pratiquer encore un islam rigoriste. D’un autre côté, certaines réformes, comme la fin de l’interdiction de conduire faite aux femmes, laissent espérer que les autorités vont infléchir leur vision conservatrice de l’islam.

Idem, si les premiers concerts organisés dans le pays se sont déroulés devant un public non-mixte, le « mélange des genres » est aujourd’hui autorisé, depuis la fête nationale célébrée en septembre 2017. Même si cette mixité bénéficie tout d’abord à une élite, qui jusqu’alors se rendait à Dubaï (Emirats arabes unis) ou à l’étranger pour profiter de cette liberté. D’ailleurs, la première de Black Panther, il y a un an, n’était ouverte qu’aux happy fews munis d’une invitation. Et le prix élevé des concerts et des spectacles vivants tempère légèrement ce désir d’ouverture affiché par les autorités.

Ere post-pétrolière

Il n’en demeure pas moins vrai qu’en affirmant sa Vision 2030 et en militant pour un islam modéré, MBS prend le risque de se mettre à dos une partie de la population saoudienne. En particulier la classe la plus conservatrice du pays. Mais le prince héritier souhaite avant tout soutenir la croissance du pays et préparer l’après-pétrole. Dont l’effondrement du prix met toujours à mal les finances du royaume. Et cette diversification économique passe obligatoirement par l’inclusion des femmes, selon lui, dans la vie active – ce qui a d’ailleurs entraîné la levée de l’interdiction de conduire.

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De la même manière, le développement des loisirs et de la culture doit permettre une relance de l’économie, avec la création de près de 450 000 emplois, et contribuer à augmenter l’attractivité du pays. Une attractivité qui passe donc notamment par la fin des interdictions et l’assouplissement de règles dans le domaine culturel et du divertissement. Outre plaire aux Saoudiens, les concerts et festivals organisés à travers le royaume s’inscrivent donc dans un objectif plus global. Celui visant à créer une véritable industrie touristique. Un potentiel que le prince héritier saoudien compte exploiter pour préparer l’Arabie saoudite à l’ère post-pétrolière.

Crédits photo : Turki ben Abdulmohsen, patron de l‘Autorité générale pour le divertissement

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