Les intérêts partagés de Jared Kushner et Mohamed ben Salman

Selon le « New York Times », il pourrait y avoir « conflit d’intérêt » dans la relation entre les deux trentenaires.

L’entente plus que cordiale entre Mohamed ben Salman et Jared Kushner a toujours fait parler. Deux trentenaires, l’un prince héritier saoudien, l’autre gendre du président américain, qui entretiennent des relations serrées, la chose ne pouvait que susciter de l’intérêt. Problème, pour ces deux personnages : leur amitié fait de plus en plus jazzer. Surtout depuis que le premier a ordonné l’assassinat d’un journaliste saoudien, dans les couloirs d’un consulat à Istanbul (Turquie), en octobre dernier. Le Washington Post, où Jamal Khashoggi, en exil aux Etats-Unis, tenait une tribune libre, avait alors exigé une enquête sur cette relation, fondement même de la politique américaine selon certains analystes.

« Ce n’est plus un secret pour personne que les deux hommes sont en contact permanent depuis l’avènement de l’administration Trump. […] Mais si de nombreuses personnes au sein et en dehors du gouvernement américain se sont retournées contre le prince héritier depuis le meurtre de Khashoggi, le gendre du président est resté attaché à son amitié [avec Ben Salman] », déclarait le quotidien américain peu après l’assassinat. Ajoutant même : « Il apparait que Kushner a conseillé Ben Salman sur la manière de calmer la tempête depuis le déclenchement de la crise Khashoggi, l’invitant instamment à résoudre ses différends dans la région et d’éviter tout embarras supplémentaire. »

« Coups de sang »

Une gageure, tant les fronts ouverts par le prince héritier, depuis son arrivée sur la scène gouvernementale, en 2015, sont nombreux. En mars de la même année, il impliquait le royaume saoudien, ainsi que plusieurs pays arabo-musulmans, dans le conflit yéménite, afin d’épauler le président Abd Rabbo Mansour Hadi qui luttait contre les rebelles Houthis (chiites). Résultat, 4 ans plus tard : plusieurs dizaines de milliers de morts, selon l’ACLED, et une crise humanitaire sans précédent, selon les Nations unies (ONU). Deux ans plus tard, en 2017, Mohamed ben Salman mettait au ban des relations régionales le Qatar, après que celui-ci avait commencé à se rapprocher de l’Iran, la bête noire des Saoudiens. Une entreprise globalement qualifiée d’échec, mais qui aura servi à déstabiliser quelque peu les relations dans la région.

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L’assassinat de Jamal Khashoggi, tout comme l’embastillement de plusieurs personnalités saoudiennes, en novembre 2017, mais également l’obligation faite au Premier ministre libanais, Saad Hariri, quelques jours avant, de démissionner, se rangent également parmi les « coups de sang » politiques ou géopolitiques du prince, que l’on qualifie souvent d’ « irraisonné » voire de « va-t-en-guerre ». Une personnalité capricieuse et un brin megalo que Jared Kushner serait donc chargé de calmer. Ou de conforter. Selon Martin Indyk, membre du Council on Foreign Relations, un think tank américain non partisan, « les relations entre Jared Kushner et Mohamed ben Salman constituent le fondement de la politique de Donald Trump, non seulement à l’égard de l’Arabie saoudite, mais aussi vis-à-vis de la région ».

Intérêts financiers

L’administration américaine a effectivement besoin de l’appui du prince héritier saoudien, dans le dossier israélo-palestinien comme pour endiguer l’influence de l’Iran, ennemi numéro 1 de Trump. Pour le New York Times, le jeune leader aurait même délibérément établi une relation intime avec le gendre du président américain, afin d’obtenir les bonnes grâces (politiques) de Washington. Certains, au sein du département d’Etat (l’équivalent du ministère des Affaires étrangères), s’inquiétant même d’une éventuelle manipulation de la part de Mohamed ben Salman, qui entretient toujours des rapports resserrés avec Jared Kushner. Contrepartie, pour les Saoudiens : investir massivement aux Etats-Unis. Et pourquoi pas dans l’immobilier, terrain privilégié du clan Trump.

Jeudi 21 mars, David D. Kirkpatrick, « Monsieur Moyen-Orient » du New York Times, affirmait à ce titre : « Les détracteurs de M. Trump ont souvent fait valoir qu’un intérêt financier tacite plane sur les relations de son administration avec les dirigeants riches en pétrole du golfe Persique, ne serait-ce que parce qu’ils sont de grands investisseurs dans l’immobilier américain. M. Trump et Jared Kushner devraient tous deux se remettre à vendre des placements immobiliers lorsqu’ils quitteront la Maison-Blanche. » Autrement dit : le président américain et son gendre tireraient profit de la géopolitique pour satisfaire leurs (futurs) intérêts financiers. Habile. Mais absolument cynique.

« Apparence d’un conflit d’intérêt »

Un mélange des genres, entre argent et politique, que viendrait également confirmer la relation qu’entretient Josh Kushner avec l’élite saoudienne. A la tête d’une société de capital-risque, Thrive Capital, le petit frère de Jared Kushner – un démocrate qui affirme avoir voté contre le candidat républicain en 2016 – se trouvait comme par hasard à Riyad, en octobre 2017, juste avant que le gendre de Donald Trump vienne rendre visite au prince héritier saoudien. « Jared est venu parler politique, mais Josh était là pour affaires », résume David D. Kirkpatrick, qui fait savoir que la firme du second a levé 1 milliard de dollars quelque temps après son voyage en Arabie saoudite.

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Si les deux frères clament haut et fort qu’ils ne travaillent pas l’un pour l’autre, le plus grand a pourtant siégé au conseil d’administration de Thrive Capital jusqu’en janvier 2017, renseigne le journaliste américain. Jared Kushner ayant également « reçu au moins 8,2 millions de dollars en gains de capital de divers fonds gérés par Thrive alors qu’il travaillait à la Maison-Blanche, selon un document financier datant de mai 2018 ». De là à soupçonner un potentiel conflit d’intérêt il n’y a qu’un pas. Franchi par « certains avocats en éthique du gouvernement [qui] affirment que [les] conversations [tenues par Josh Kushner lors de sa visite en octobre 2017] créent l’apparence d’un conflit d’intérêt », rapporte David D. Kirkpatrick.

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