Comment l’ombre de l’Etat islamique plane encore sur l’Irak

Il y a quelques jours, « le Monde » révélait que le groupe djihadiste bénéficiait encore d’une manne financière importante dans le pays.

L’Irak est loin d’être tiré d’affaire. Le pays, qui a vécu pendant plusieurs années sous le règne de l’organisation Etat islamique (EI) – au moins en partie -, militairement défaite à présent, n’a pas pour autant définitivement tourné cette page. Ne serait-ce qu’au niveau de la reconstruction de certaines villes, complètement détruites du fait de la présence des djihadistes, qui a commencé il y a quelques mois. En février dernier, le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, affirmait d’ailleurs que « les combats en Irak sont terminés, mais la tâche à accomplir est énorme. L’ONU se tient aux côtés des Irakiens alors qu’ils construisent un pays qui s’engage pour l’unité et l’inclusion. » 

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Pour mémoire, selon le Bureau de coordination de l’aide humanitaire de l’ONU (OCHA), « il faudra des années pour reconstruire l’Irak. Les évaluations des dommages et des pertes menées par le ministère de la Planification et analysée par la Banque mondiale estiment que la reconstruction prendra au moins 10 ans et coûtera bien plus de 88 milliards de dollars » – la somme initialement arrêtée. Des villes, comme Mossoul, offrent après des mois de combats des décors lunaires, alors que les centaines de milliers de personnes déplacées cherchent à réintégrer leur habitation pour la plupart. Et, selon l’OCHA, l’Irak n’est pas à l’abri d’ « attaques asymétriques […] dans les zones où l’Etat islamique conserve un soutien local. »

Bureaux de change

Et une manne financière importante également. Lundi dernier, le Monde révélait que Daech (acronyme arabe de l’EI) restructurait actuellement ses sources et ses réseaux de financements, afin d’assurer sa survie sur le long terme. « On estime que le groupe détient encore des ressources financières pour assurer sa survie pour quinze ans. Il a investi à l’étranger comme en Irak, dispose de donateurs qui pourront toujours lui fournir de l’argent, et a racheté des entreprises dans les zones libérées », assure Hicham Al-Hachémi, expert irakien des mouvements djihadistes. L’organisation a investi, selon lui, de 250 millions à 500 millions de dollars dans des sociétés irakiennes.

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Fermes piscicoles – l’élevage de poisson ; les Irakiens sont friands de carpe grillée -, compagnies de taxi, sociétés d’import-export… Les sources de revenus de l’organisation sont aujourd’hui dispersées dans une myriade de sociétés-écrans, difficiles à confondre, gérées par des intermédiaires de confiance qui n’appartiennent pas à l’EI, note Hélène Sallon, envoyée spéciale du Monde à Bagdad. Mais ce sont, surtout, les bureaux de change qui sont utilisés par les djihadistes, pour blanchir et transférer leur argent, distribuer les salaires à travers le pays et convertir leurs dinars en dollars, explique la journaliste. D’après qui sur les 1 600 bureaux bagdadiens, plusieurs dizaines pourraient être liés à Daech, qui en détient d’autres dans le pays.

500 millions de dollars

L’ombre de l’EI continuera donc de planer, en Irak, tant que le groupe djihadiste disposera d’une manne financière importante. Au-delà d’une résurrection de Daech – pour l’instant très improbable -, sa récente mainmise sur le pays se fait encore sentir, aujourd’hui, puisque les zones reprises ne sont pas entièrement débarrassées des risques d’explosion, par exemple, et demeurent instables. Le Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR) alertait d’ailleurs récemment sur l’état des infrastructures, fortement endommagées par les combats au sol et les frappes aériennes, ainsi que sur les problèmes de sécurité liés à la fermeture de routes et de quartiers, mais également aux multiples points de contrôle et couvre-feux mis en place.

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« Les rapatriés perçoivent les mécanismes de filtrage comme étant durs et effrayants » note l’organisation onusienne. « Le rythme auquel les personnes déplacées retournent dans leur région d’origine à partir des camps reste le même. Au cours de la dernière semaine de mars, quelque 1 400 personnes ont quitté [leurs camps] dans le gouvernorat d’Anbar » renseigne-t-elle en guise d’exemple. Et si « des paniers de nourriture et des kits d’hygiène ont été mis en place », les besoins humanitaires ne cessent d’augmenter, dans le pays. D’après l’UNHCR, 500 millions de dollars seraient ainsi nécessaires pour prendre en charge les Irakiens déplacés, rien qu’en 2018.

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