Le développement de la région ne pourra se faire sans investissement dans le capital humain des secteurs agricoles.
Alors que ce lundi 24 juin à Marseille, se tenait le « Sommet des deux rives », un forum voulu par le Président Emmanuel Macron pour relancer la dynamique de coopération en Méditerranée occidentale par la mise en œuvre de projets en faveur du développement humain, économique et durable, il est important de rappeler à quel point le développement de la région ne pourra se faire sans l’inclusion des populations non-urbaines et sans un investissement massif dans le capital humain des secteurs agricoles et de la pêche, avec une attention particulière portée aux femmes et aux jeunes.
Dans les pays méditerranéens, où un tiers de la population vit dans les zones rurales et où un emploi sur six est dans le secteur agricole, il est impossible de considérer un développement durable et partagé sans tenir compte de ces zones et secteurs d’activités. Pourtant aujourd’hui, vivre dans les zones rurales, oasiennes ou montagneuses, reste très pénalisant.
On doit faire face là-bas, plus qu’ailleurs à l’absence ou l’insuffisance de biens et services essentiels, les opportunités de formation et d’emplois y sont limitées, les effets du changement climatique et la dégradation des ressources naturelles y sont les plus marqués et ils impactent plus fortement les communautés agricoles et de la pêche, et enfin c’est là encore que les tendances aux conservatismes sociétaux et religieux se manifestent le plus.
Ces territoires ont pourtant tant à offrir à l’heure où l’on recherche des solutions aux grands défis méditerranéen.
La Méditerranée est l’un des points chauds mondial du changement climatique. Les experts prévoient d’ici à 2050 une augmentation de 2 à 3°C. Les prévisions annoncent aussi, moins de précipitations. Or les pays méditerranéens sont déjà confrontés à d’importants problèmes de stress hydrique. En 2025, l’ensemble des Etats nord-africains et proche-orientaux devraient tomber dans la catégorie de la pénurie en eau, soit sous la barre symbolique des 1000 m³/an/habitant.
Les régions du Sud et de l’Est de la Méditerranée souffrent également de désertification, de dégradation des sols et de sécheresses. Du côté des côtes, ce n’est pas mieux. Il est prévu une élévation du niveau de la mer, l’acidification de la mer et l’augmentation des épisodes climatiques extrêmes qui pourront avoir des effets dramatiques sur les zones côtières, leur population et la biodiversité.
Si rien n’est fait, cette situation aura un effet direct sur le développement et la dynamique économique des pays. L’agriculture et la pêche en seront les principales victimes. Les populations qui en vivent en paieront le prix fort.
Un autre point doit également attirer l’attention pour les pays de la rive sud, il s’agit de la forte dépendance aux importations alimentaires. Entre le début des années 1960 et la fin 2000, le Maghreb a vu sa dépendance passer de 10 à 54 %. On importe des dizaines de millions de tonnes de blé, de maïs, de sucre par an aujourd’hui contre quelques milliers de tonnes il y a peine 30 ans.
Cette dépendance aux importations agricoles devrait continuer et augmenter d’ici à 2050 si les effets locaux du changement climatique continuent de s’accentuer.
La forte croissance de la population explique une large part de l’augmentation du besoin en produits agricoles et alimentaires. Au Maghreb, la population devrait atteindre les 130 millions d’ici à 2050 contre les 87 millions actuels. Ce sont autant de nouvelles bouches à nourrir dans un contexte de diminution ou de détérioration de ressources naturelles.
A côté de cela, persiste l’énorme défi du chômage des jeunes et des femmes. Au Sud et à l’Est de la Méditerranée, le taux de chômage des jeunes est l’un des plus élevé au monde +- 28 % des jeunes au chômage. Si la plupart des chômeurs sont peu qualifiés, les diplômés du supérieur connaissent de très forts taux de chômage (autour de 20 % en Algérie, et près de 35% en Tunisie). Le taux de chômage des femmes, c’est une constante dans la région, reste par ailleurs très élevé (+ 20%). Les zones rurales et agricoles sont encore plus touchées. Beaucoup de jeunes et de femmes se trouvent hors du système éducatif ou sans travail.
Dans ces conditions, la seule option de vie meilleure, réside dans la migration vers les villes du pays ou au-delà, parfois au détriment de leur vie. Rappelons que, depuis les années 2000, plus de 50 000 personnes sont mortes en mer Méditerranée.
Et si les solutions se trouvaient dans ces zones marginalisées ?
Face à la pression démographique unique qui pèse sur le marché du travail des pays de la région, face aux enjeux alimentaires qui se posent, face aux défis environnementaux qui se présentent, l’agriculture, la pêche, l’agro-industrie durables et responsables représentent des opportunités encore insuffisamment considérées.
Ils sont en effet, essentiels pour assurer la sécurité alimentaire des pays de la région, ils sont potentiellement créateurs d’emplois durables et rémunérateurs pour les jeunes. Ils peuvent jouer un rôle crucial dans la prévention et l’adaptation aux changements climatiques par exemple avec le stockage du carbone dans les sols grâce aux pratiques de l’agroécologie, de l’agroforesterie et de l’agriculture de conservation.
Bien que ce ne soit pas l’unique secteur, l’agriculture est une source d’emplois et de revenus dans les zones rurales et un facteur essentiel de la revitalisation de l’économie rurale, qui a un rôle crucial à jouer dans les transitions en cours.
On sait aujourd’hui qu’investir dans le secteur agricole est 2 à 4 fois plus efficace pour réduire la pauvreté que dans tout autre secteur et que la modernisation de l’agriculture, ainsi que le renforcement des services associés, contribuent à l’émergence d’une classe moyenne, moteur d’une croissance économique stable.
Par ailleurs, lorsque l’agriculture mobilise les innovations techniques, sociétales et environnementales, elle suscite l’intérêt des plus jeunes et devient plus accessible aux femmes, de quoi faire naitre des vocations et reconsidérer des métiers qui risquent de disparaitre faute de renouvellement générationnel et de reconnaissance sociale suffisante.
Lorsqu’ils sont gérés de manière durable et responsables, ces secteurs d’activités ont démontré leur capacité à contribuer à la résilience des territoires et à générer une croissance économique inclusive.
Idem pour les systèmes alimentaires plus soutenables et responsables qui contribuent d’une part, à préserver les ressources naturelles et la biodiversité méditerranéenne, et d’autre part à générer des emplois locaux à forte valeur sociale ajoutée, susceptibles de redonner du sens et de la valeur aux métiers agricoles.
En plaçant la jeunesse et les femmes au cœur de la redynamisation de ces territoires en mobilisant notamment les innovations environnementales et techniques, en renforçant l’entrepreneuriat responsable, sociale et solidaire dans la chaine de valeur, en développant les partenariats avec la société civile, les entreprises et les universités, les pays se donnent une chance d’offrir à leur population la possibilité de se penser en acteur du changement et de se reconnecter à des économies réelles et utiles.
Il est urgent de redonner de l’attractivité à ces secteurs pour offrir des perspectives aux jeunes générations et aux femmes et ainsi atténuer les fortes disparités dans le développement des régions urbaines et rurales.
Les secteurs agricoles et côtiers, doivent enfin mieux être adossés à un système éducatif et de formation de qualité, accompagnés d’investissements dans les infrastructures notamment connectives (transports, distribution, internet…) et ils doivent davantage mobiliser les acteurs du secteur privé et de la société civile, pour redevenir des catalyseurs de capital humain et des leviers de la lutte contre les inégalités.
La présidence française du G7 a choisi la « Lutte contre les inégalités » comme thématique pour son prochain Sommet, qui se tiendra du 24 au 26 août 2019, tout comme la Commission européenne qui a organisé la 13ème édition des «Journées européennes du développement » sur le thème de «La réduction des inégalités: construire un monde qui ne laisse personne pour compte».
N’oublions pas de poser aussi sur la table la question des inégalités de développement et territoriales qui font le nid des tensions actuelles et à venir, et qui sans doute ont été à l’origine des échecs des précédentes tentatives du dialogue euro-méditerranéen.

Responsable de la communication et des publications CIHEAM (Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Méditerranéennes)/ Organisation Intergouvernementale