Au Maroc, douceurs et barbarie de la figue

« Si elle n’est peut-être pas le plus noble des fruits, la figue de Barbarie est une baie mystérieuse ».

Derrière des airs menaçants, avec d’impitoyables épines martiales ornant ses raquettes et ses fruits, le figuier de Barbarie, de son nom scientifique Opuntia ficus-indica, ne se laisse pas facilement approcher. Celui-ci s’avère pourtant d’une grande tendresse lorsqu’on se donne la peine de le connaître et l’apprivoiser !

Originaire du Mexique et longtemps relégué au rôle de clôture naturelle (plus efficace que le barbelé !) entre les parcelles de terre, le figuier de Barbarie marocain, qu’on appelle communément « cactus », trouve depuis une dizaine d’années un intérêt grandissant chez les agriculteurs — qui perdaient alors près de 40% de leur récolte faute de moyens de conservation viables —, sa production étant ici, avec celle de l’arganier, l’une des premières mondiales.

Présente dans les régions arides — particulièrement dans celle de Souss-Massa — où elle s’est considérablement développée avec le Plan Maroc Vert lancé en 2008 par le ministère de l’Agriculture, la plante se montre d’une robustesse idéale compte tenu de la sécheresse. Régulant l’érosion des sols, elle constitue une réserve fourragère importante, tant pour le bétail que pour les oiseaux, les lièvres ou les sangliers.

Très nutritive, riche en fibres, en vitamines et minéraux divers, la figue de Barbarie est réputée pour ses vertus hydratantes, anti-inflammatoires, anti-oxydantes et laxatives. L’huile obtenue à partir de ses pépins, riche en vitamine E et particulièrement lucrative, est par ailleurs de plus en plus utilisée dans la préparation de produits cosmétiques pour la peau.

Récoltée à la fin de l’été, à partir du mois d’août, la figue de Barbarie est surtout connue dans la tradition urbaine — telle qu’elle existe également en Égypte — pour être vendue à l’étalage par les marchands ambulants et producteurs familiaux dispersés ici et là aux carrefours des villes et au bord des routes, munis de leur gant (gare à celui qui saisira l’écorce à pleine main !) et de leur lame affûtée experte en épluchage ; les passants cédant à la tentation du rafraîchissement contre quelques dirhams. L’occasion aussi d’échanger quelques mots d’esprit ou s’informer des dernières nouvelles locales après une journée de travail.

Cette année, sa présence dans les rues marocaines semblait plus timide que de coutume. En cause, l’augmentation significative de son prix due aux ravages de la cochenille, le parasite étant apparu dès 2014 dans le centre et le nord du pays et gagnant désormais les exploitations du sud, dont le commerce fait vivre de nombreuses familles. Si bien que des centaines de kilomètres de plantations ont dû être déracinées, brûlées et enfouies, réduisant de près de moitié le rendement des producteurs.

Face au fléau, traitements phytosanitaires préventifs et introduction de coccinelles prédatrices qui semblent quelque peu dépassées devant l’ampleur de la tâche. Conscient des enjeux socio-économiques de l’exploitation des figuiers de Barbarie dans les zones rurales, le ministère de l’Agriculture a mis en place un plan de sauvetage à hauteur de 80 millions de dirhams pour aider les producteurs à contenir les pertes et relever la filière.

Le phénomène n’est pas nouveau puisque les Aztèques déjà cultivaient les figuiers de Barbarie pour l’élevage de cochenilles, dont ils extrayaient l’acide carminique, cette substance rouge utilisée comme pigment dans les teintures notamment. L’exploitation centraméricaine de la figue de Barbarie datant de l’Antiquité, celle-ci sera importée en Méditerranée par les équipages de Christophe Colomb à la fin du XVe siècle. D’où, suppose-t-on, le nom de karmous nasara donné au Maghreb, littéralement « la figue des chrétiens ».

En 2017, l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture présentait le cactus comme une plante d’avenir, particulièrement en Afrique et dans les régions arides, où ses qualités nutritives et fourragères ainsi que les importantes réserves d’eau contenues dans ses raquettes constituent de précieuses alternatives contre la sécheresse et la famine autant que dans la préservation des écosystèmes.

Si elle n’est peut-être pas le plus noble des fruits, ni le plus complaisant, avec ses nombreux pépins et épines, la figue de Barbarie, au goût finement acidulé, assez proche de celui du melon ou de la pastèque, est une baie mystérieuse, résistante et polyvalente, qui fait partie du paysage folklorique des rues et des campagnes d’Afrique du Nord à l’approche de l’automne. En jus, en sorbet ou en confiture, elle se montrera bien moins barbare qu’il n’y paraît !

Partages