Attentat en Egypte : qu’est-ce que le soufisme ?

Les musulmans soufis, qui véhiculent des valeurs de paix et d’altérité, sont considérés par les salafistes comme déviants, notamment en raison de leurs pratiques « innovantes » de l’islam.

« Un acte brutal sans précédent » pour l’Eglise copte d’Egypte ; « un terrorisme noir et brutal » pour le cheikh Ahmed el-Tayeb, plus haute autorité sunnite du pays. L’attentat de la mosquée de Bir al-Abed, qui a fait plus de 300 morts, n’a pas encore été revendiqué, mais porte clairement la marque de l’organisation Etat islamique (EI), très présente dans la région égyptienne du Sinaï. « Les procédés employés aujourd’hui démontrent que ce groupe est très organisé » soulignait le correspondant de France 3, Martin Roux, hier soir. « A la suite des explosions, les terroristes étaient stationnés à proximité des sorties de la mosquée pour viser les fidèles qui tentaient de s’enfuir. » Qu’est-ce que le soufisme et pourquoi des groupes comme Daech s’en prennent-ils à ce courant religieux ?

Sagesse soufie

Deux idées essentielles sous-tendent le soufisme, considéré comme une voie mystique de l’islam : la conviction que le Coran, le livre sacré des musulmans, possède un sens caché qui s’ajoute au message apparent ; la nécessité d’en faire une lecture intériorisée pour accéder à l’élévation spirituelle des musulmans. La pratique religieuse du soufisme encourage ainsi de nouvelles formes de dévotion, comme la méditation, la retraite, l’invocation, le chant et la danse extatique. Et permet également le dialogue et les échanges avec les autres traditions religieuses. Le soufisme « véhicule des valeurs de paix, d’altérité, d’universalité » expliquait en mais 2016 l’islamologue Eric Geoffroy dans Libération. Il est selon lui « une vraie alternative ».

Si, comme les deux branches majoritaires de l’islam, le sunnisme et le chiisme, le soufisme reconnaît Mahomet en tant que véritable prophète de l’islam, les premiers groupes soufis apparaissent un peu plus tardivement, à partir du 8ème siècle de l’ère chrétienne, et s’organisent en confréries vers le 12ème siècle. « Il faut attendre le début du deuxième millénaire pour voir les grands groupes communautaires soufis, qui ne s’appellent pas encore comme cela, se donner des règles » affirmait Thierry Zarcone, chercheur au CNRS et spécialiste du soufisme, sur France Culture en juin 2010. « Le besoin de rechercher en soi-même une certaine vérité, une contemplation, un approfondissement de son être » étant l’une des bases de la sagesse soufie.

« Innovations »

Les musulmans soufis recherchent ainsi l’intériorisation, comme première pierre d’un rite initiatique et ésotérique qui doit mener à l’amour de Dieu, et cultivent l’idée selon laquelle Mahomet serait porteur de révélations cachées qui n’ont pas été transmises dans le Coran. D’où l’idée de vouloir se rapprocher de Dieu – jusqu’à devenir son égal, reprochent les détracteurs du soufisme –, en pratiquant l’adoration, le chant et la danse, afin de recueillir ces paroles mystiques. Des « innovations » et des « superstitions » dans la religion rejetées par les salafistes, pratiquants d’un islam rigoriste et traditionnel, qui a inspiré la majorité des djihadistes, dont ceux de Daech.

Ces derniers estiment que le soufisme est un courant déviant de l’islam et massacrent, au même titre que les chiites et les chrétiens d’Orient, ses fidèles. En 2016, l’EI a par exemple revendiqué l’exécution de deux chefs soufis en Egypte, dont l’un, le prédicateur soufi le plus âgé de la région (plus de 100 ans), aurait été décapité ; en novembre de la même année, un attentat revendiqué par Daech perpétré pendant une cérémonie soufie au Baloutchistan avait fait plus de 50 morts. Tout porte à croire, en définitive, que l’EI était également à la manœuvre hier soir. Ses combattants infestent la région du Sinaï et le groupe, défait militairement en Syrie et en Irak, cherche sans doute à continuer d’exister. En perpétrant la mort.

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