L’attentat dirigé contre une mosquée soufie du Nord-Sinaï, vendredi dernier, prouve l’inefficacité de la politique « tout-sécuritaire » du président égyptien depuis trois ans.
Les représailles n’ont pas tardé. Dans la soirée de vendredi, alors que l’Egypte se relevait à peine de l’une des attaques les plus sanglantes de son histoire, l’armée du pays a annoncé avoir procédé à des frappes aériennes dans la région du Sinaï, où se trouvent des combattants de l’organisation Etat islamique (EI), fortement soupçonnés d’être à l’origine de l’attentat. L’armée de l’air « a détruit plusieurs véhicules utilisés dans l’attaque » et « ciblé plusieurs foyers terroristes contenant des armes et des munitions » selon le porte-parole de l’armée, Tamer el-Refaï. Soit une application à la lettre de la politique de lutte antiterroriste de l’Egypte depuis quelques années.
« Confrontation décisive »
Quelques heures plus tôt, le président égyptien avait en effet prévenu qu’il répondrait avec « une force brutale » à l’attaque terroriste dirigée contre la mosquée soufie al-Rawda, dont le bilan s’est encore alourdi hier (305 morts dont 27 enfants). Rien qu’en 2017, entre l’embuscade dans la région des Oasis, à 135 kilomètres au sud-est du Caire, dirigée contre les forces de l’ordre en octobre, le double attentat contre des églises coptes à Tanta en avril et l’attaque de vendredi, le nombre de morts s’élève à plus de 360. Et pose nécessairement la question de l'(in)efficacité de la lutte antiterroriste égyptienne.
En septembre 2014, à l’occasion de son premier discours devant l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), le président Abdel Fattah al-Sissi avait pourtant été clair dans sa détermination à affronter le terrorisme au Moyen-Orient. En appelant notamment de ses vœux une « confrontation décisive » contre « les forces de l’extrémisme [et] toute tentative d’imposer des opinions par l’intimidation et la violence. » S’il a rappelé ce discours volontariste en 2015, 2016 puis en 2017, la région du Sinaï, vaste étendue désertique qui jouxte Israël, subit depuis trois ans la montée en puissance des groupes djihadistes, notamment celle de la branche égyptienne de l’EI.
Délaissement des populations
La raison ? Le gouvernement, dans cette zone géographique, réagit plus qu’il n’agit ; il frappe les terroristes lorsqu’ils commettent un attentat, sans chercher à les faire disparaître en amont. Encore faudrait-il pour ce faire que les autorités égyptiennes s’y emploient. « Historiquement, peu d’investissements publics ont été déployés dans la région du Nord-Sinaï, au profit de zones plus touristiques, et la désorganisation de l’Etat et de l’appareil sécuritaire depuis 2011 a permis aux djihadistes de voir grossir leurs rangs » explique Johanna Villégas, journaliste à L’Orient-Le Jour.
Comme sur les terrains syrien et irakien, les membres de l’EI – ou des autres groupes djihadistes – profitent du délaissement éprouvé par certaines populations du Sinaï, qui doivent également faire face à la violence de l’armée, pour recruter de nouvelles mains. « Même si la zone est géographiquement assez restreinte, ses particularités sociologiques rendent le combat contre les groupes terroristes particulièrement difficiles, puisqu’il met à mal les populations locales, dont le soutien est pourtant essentiel pour parvenir à ce but » note effectivement Johanna Villégas.
« Echec tragique des gouvernements »
La solution ? Pour le Tahrir Institute for Middle East Policy (TIMEP), un institut basé à Washington chargé d’observer et encourager la démocratisation des pays du Moyen-Orient, « le gouvernement égyptien doit mener des opérations précises de lutte antiterroriste qui ciblent précisément les menaces à la sécurité, par opposition aux mesures de lutte grossières qui […] ébranlent la confiance de la population. » Le TIMEP parle aujourd’hui d’une « crise de la sécurité en Egypte qui empêche non seulement l’efficacité des opérations ciblées [mais aussi] l’accès à l’information et à l’Etat de droit de la société civile ». Une désorganisation que n’ont pas manqué de noter les djihadistes.
Contrairement aux précédentes attaques, le mode opératoire suivi vendredi soir interpelle par son audace : 25 à 30 hommes armés auraient été impliqués dans l’attaque de la mosquée soufie, et ont ouvert le feu après avoir fait exploser une bombe tout près de l’entrée, tout en incendiant les voitures garées à proximité. Pour Mona Eltahawy, spécialiste du Moyen-Orient et contributrice au New York Times, il s’agit clairement d’ « un rappel sanglant de l’échec tragique des gouvernements égyptiens successifs à éteindre une insurrection tenace, malgré des tentatives brutalement répressives pour y parvenir ».

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