Les plus gros contributeurs de la conférence des donateurs pour le Yémen, qui s’est tenue mardi, sont aussi les principales parties au conflit.
L’an dernier, les Nations unies (ONU) avaient récolté 2 milliards de dollars de promesses pour le Yémen. Hier, mardi 26 février, la 3ème conférence des donateurs pour le pays, organisée à Genève (Suisse), a vu ce chiffre grimper à 2,6 milliards de dollars. Soit un peu plus qu’il y a un an. Pas de quoi satisfaire, en revanche, les organisations humanitaires qui interviennent sur le sol yéménite – toujours en proie au conflit entre les rebelles Houthis et la coalition saoudienne.
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« Aujourd’hui, les gouvernements ont fait un geste pour soulager les souffrances de millions de personnes victimes de la pire crise humanitaire au monde [comme le soulignait l’ONU l’an dernier, ndlr], en promettant 2,6 milliards de dollars. Nous saluons ce soutien aux efforts humanitaires qui garantissent aux Yéménites un accès à de la nourriture, de l’eau potable, des soins de santé adéquats et à des services d’éducation. Cependant, nous sommes encore loin des 4,2 milliards de dollars nécessaires pour aider les 24 millions de personnes, soit près de 80 % de la population du Yémen, qui ont besoin d’une assistance humanitaire », ont fait part Save the Children, Care, le Norwegian Refugee Council et Oxfam, à l’issue de la conférence.
Au départ « simple » guerre civile entre une minorité religieuse (les Houthis, d’obédience zaïdite, proches du chiisme) et le gouvernement yéménite, le conflit s’est internationalisé en mars 2015, lorsque l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition de pays arabes – qui comprend notamment les Emirats arabes unis (EAU), bien implantés dans le sud du Yémen -, a commencé à bombarder les positions rebelles en soutien au président Abd Rabbo Mansour Hadi. Mais également pour éviter que les Houthis, soutenus de loin par l’Iran, la bête noire de Riyad, ne s’approchent trop près de la frontière saoudienne.
Ventes d’armes
Après plus de trois années de conflit, 10 000 morts (selon les chiffres officiels ; plusieurs dizaines de milliers selon certains observateurs de guerre), des excès de la part des deux camps, qualifiés de « potentiels crimes de guerre » par l’ONU, et une situation humanitaire catastrophique, les belligérants, réunis à Stockholm (Suède) en décembre dernier, ont réussi à s’entendre sur un cessez-le-feu. Notamment dans la zone portuaire et stratégique d’Hodeïda (ouest), tenue par les rebelles et assiégée par la coalition, par où transite environ 70 % des importations du pays.
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Sauf que début février, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est dit préoccupé par les allégations de violation du cessez-le-feu. Des affrontements sporadiques, entre coalition et Houthis, ayant toujours lieu, touchant particulièrement les enfants, comme l’a rappelé Tamara Kummer, responsable de la communication pour l’UNICEF, lors de la conférence des donateurs. « Aujourd’hui, au Yémen, 1,2 million d’enfants vivent dans des zones de conflits actifs, [comme Hodeïda,] qui connaissent des bombardements intenses et énormément de violence. Leur situation ne s’améliore pas depuis l’accord de Stockholm en décembre dernier ; 8 enfants meurent ou sont gravement blessés tous les jours, dans les violences liées à la guerre », selon elle.
L’UNICEF tout comme les ONG présentes à Genève, mardi dernier, ont ainsi appelé à intensifier les promesses de dons pour le Yémen, mais également exigé des parties au conflit qu’elles mettent tout en œuvre pour améliorer rapidement les conditions de vie de la population. Car « un seul soutien financier ne suffit pas, ont affirmé les organisations humanitaires, tout en demandant aux dirigeants mondiaux de protéger les civils et les infrastructures civiles, telles que les écoles et les hôpitaux, et de demander des comptes à ceux qui ne respectent pas le droit international ». Au premier rang desquels « les pays qui vendent des armes aux parties belligérantes au Yémen ».
« Concurrentiel et efficace »
A ce titre, Paris, régulièrement visée par les associations anti-armement, continue de commercer, entre autres, avec l’Arabie saoudite et les EAU, comme l’a fait remarquer Tony Fortin, membre de l’Observatoire des armements (Obsarm), mercredi 27 février, dans une interview accordée au quotidien français L’Humanité. « On parle aujourd’hui de 16 références d’armes françaises utilisées par la coalition militaire arabe au Yémen », selon lui, tandis que le salon international de l’armement Idex, l’un des plus importants du Moyen-Orient, qui s’est tenu la semaine dernière à Abou Dabi, a vu les contrats avec les Emiratis affluer pour la France.
Récemment, Paris était également pointée du doigt par l’Obsarm pour avoir demandé à Berlin d’assouplir sa réglementation sur les exportations d’armes. Ceci dans le seul but de relancer l’industrie franco-allemande de l’armement, alors que l’Allemagne a décidé de suspendre ses contrats avec l’Arabie saoudite, en octobre dernier, après les révélations concernant l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
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Dans la droite posture du président français, Emmanuel Macron, pour qui remettre en cause le commerce des armes avec les pays de la coalition saoudienne équivaut à de la « pure démagogie », le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a déclaré il y a quelques jours : « Si l’on veut être concurrentiel et efficace, il faut que nous puissions exporter dans des pays hors de l’Europe ». Rappelant bien malgré lui à quel point la guerre au Yémen restait affaire de cynisme. La preuve : l’Arabie saoudite et les EAU, principaux acteurs du conflit, font partie des plus gros contributeurs de la conférence des donateurs de Genève.

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