En 2019, MBS déclarait assumer « l’entière responsabilité » du meurtre du journaliste tout en niant l’avoir ordonné.
Le prince héritier d’Arabie saoudite a probablement approuvé l’assassinat du journaliste américain Jamal Khashoggi, perpétré le 2 octobre 2018 au sein du consulat saoudien à Istanbul, selon un rapport des services de renseignements américains récemment déclassifié et publié vendredi, qui a immédiatement fait monter la pression sur l’administration Biden pour qu’elle tienne le royaume responsable d’un meurtre qui a suscité l’indignation du monde entier.
Les conclusions des services de renseignements étaient connues depuis longtemps de nombreux responsables américains et, même si elles restaient confidentielles, elles avaient été rapportées avec plus ou moins de certitude. Désormais, cela ne fait aucun doute, pour l’agence de presse américaine Associated Press (AP) : « Tandis que le prince héritier continue de jouer son rôle de puissant et devrait monter sur le trône, les Américains l’associeront à jamais au meurtre brutal d’un journaliste qui promouvait la démocratie et les droits humains ».
Mais la réprimande publique de Mohammed ben Salman (dit « MBS ») a toujours été un sujet sensible des relations américano-saoudiennes. Ainsi, même lorsque l’administration Biden a rendu publiques les conclusions du rapport, elle semblait déterminée à préserver ses liens avec le royaume saoudien, en évitant de punir directement le prince lui-même, malgré les demandes de certains démocrates du Congrès et proches de Jamal Khashoggi pour des sanctions importantes et ciblées.
« Sanctions »
Interrogé par AP, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a défendu cette approche. « Nous ne cherchions pas à rompre la relation [avec Riyad] mais à la recalibrer, pour qu’elle soit plus conforme à nos intérêts et à nos valeurs, a-t-il effectivement déclaré. Je pense que nous devons aussi comprendre que cela dépasse les limites d’une seule personne ».
Bien que les responsables des services de renseignement américains n’aient pas clairement affirmé que MBS avait ordonné le meurtre de Jamal Khashoggi, le document de quatre pages le décrit comme ayant un « contrôle absolu » sur les services de renseignement saoudiens, et affirme qu’il est très peu probable qu’une telle opération ait été menée sans son approbation. Le ministère saoudien des Affaires étrangères a répondu que l’Arabie saoudite « rejette catégoriquement l’évaluation offensive et incorrecte du rapport concernant la direction du royaume ».
A la suite de la publication des conclusions, le département d’État a annoncé de nouvelles mesures, dénommées « Khashoggi Ban », qui permettront à Washington de refuser des visas aux personnes qui nuisent, menacent ou espionnent des journalistes au nom d’un gouvernement étranger. Il a également déclaré qu’il imposerait des restrictions de visa à 76 individus saoudiens – sans préciser leur identité – qui ont engagé ou menacé des dissidents à l’étranger.
Si les démocrates au Congrès ont félicité l’administration Biden pour la publication du rapport – l’administration Trump avait refusé de le faire -, ils l’ont exhortée à prendre des mesures plus agressives, y compris contre le prince héritier. Le député Adam Schiff, président de la commission des renseignements de la Chambre des représentants, a ainsi explicitement demandé au gouvernement d’envisager de punir MBS, qui, selon lui, a le sang d’un journaliste américain sur les mains.
« Le président ne devrait pas rencontrer le prince héritier, ni parler avec lui, et l’administration devrait envisager des sanctions sur les actifs du Fonds d’investissement public saoudien qu’il contrôle et qui ont un lien quelconque avec le crime », a déclaré M. Schiff dans un communiqué. Le sénateur démocrate (Oregon) Ron Wyden a quant à lui appelé à des « sanctions » dirigées non seulement contre MBS, mais également contre le royaume saoudien dans son ensemble.
« Partenariat »
Les militants des droits humains ont également réagi à la publication du rapport, déclarant que l’absence de toute mesure coercitive serait le signe d’une impunité pour le prince héritier saoudien et les autres autocrates. Mais alors que Joe Biden s’était engagé, lors de la campagne présidentielle, à faire de l’Arabie saoudite un État « paria », le jeu de la realpolitik a semblé reprendre le dessus, jeudi, lorsque le président américain a appelé son homologue saoudien, le roi Salman.
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D’après AP, aucune mention de l’assassinat de Jamal Khashoggi lors de cet entretien, mais plutôt des échanges courtois autour du « partenariat de longue date entre les deux pays ». « Bien que la relation de l’administration Biden avec Riyad soit probablement plus conflictuelle que celle de Donald Trump, la réalité est que les réserves de pétrole de Riyad et son statut de contrepoids à l’Iran au Moyen-Orient en ont fait depuis longtemps un allié stratégique – bien que difficile », précise l’agence de presse.
Ce qui n’a pas empêché l’attachée de presse de la Maison Blanche, Jen Psaki, de déclarer aux journalistes que l’administration avait l’intention de « recalibrer » les relations États-Unis-Arabie saoudite. Joe Biden a d’ailleurs d’ores et déjà ordonné la fin du « soutien » américain à la campagne de bombardement menée par les Saoudiens au Yémen depuis bientôt 6 ans. Sans livrer de détails, il a ainsi déclaré qu’il mettrait fin à la vente d’armes offensives américaines à Riyad.
En 2019, MBS faisait savoir qu’il assumait « l’entière responsabilité » du meurtre de Jamal Khashoggi, tout en niant l’avoir ordonnée. Les autorités saoudiennes avaient alors pointé du doigt des responsables de la sécurité et du renseignement du royaume. En 2020, des tribunaux saoudiens ont annoncé qu’ils avaient condamné 8 ressortissants saoudiens à des peines de prison pour l’assassinat du journaliste. Sans toutefois donner de noms.
Crédits photo : Le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salman, lors d’un sommet du G20 par visioconférence, à Riyad, la capitale de l’Arabie saoudite (Bandar Aljaloud/AP).
